Chère Joy,

Je t’écris ces quelques lignes sachant pertinemment que mère prendra la lettre et la jettera à la poubelle, esquissant son éternel rictus de dégoût dès qu’elle pense à moi. Mais j’ose espérer qu’un jour elle cessera de se comporter comme une enfant capricieuse et te donnera mes lettres, pour que tu saches que je pense à toi malgré les kilomètres qui nous séparent. Parfois j’ai l’impression que tu es proche de moi, à un tel point qu’il me suffirait de tendre la main pour attraper la tienne. Mais ce n’est qu’un rêve qui parcourt sans cesse mes pensées, sans jamais se réaliser. Je mentirais en disant que tu ne me manques pas, petite sœur. Est-ce que tu vas bien ? Les autres ne t’embêtent pas trop ? J’ai tellement de questions qui sillonne ma tête, que j’en tremble. Il ne se passe pas un jour où je veux rentrer à la maison. Car ici, les gens et les coutumes ne sont pas les mêmes. De plus, le pensionnat est horrible, il y a une guerre des sexes qui dure depuis des années. Heureusement on ne m’ennuie pas trop, tu me connais, moi et mon caractère. Je ne prendrais pas parti de cette guerre mais si on me cherche des ennuis, ils me trouveront, peu importe si c’est une fille ou un gars. Enfin bref, tout ça pour te dire que j’ai du mal à m’y faire. Malgré tout, j’ai quelques amies. D’ailleurs, mon amie Ran, une petite Mermaid, vient me chercher aujourd’hui pour qu’on aille faire un tour ! C’est une camarade de classe que j’apprécie énormément, on a fait un projet ensemble récemment. Ne fais pas cette tête, elle ne te remplacera jamais, tu sais.

Tu me manques. Je t’aime.


Logan plia en deux son bout de papier et la mit sous enveloppe, prenant soin de bien la refermer et d’ajouter le cachet de la destinataire. Sa sœur lui manquait terriblement. Elle eut même une larme qui roula le long de sa joue rebondie mais la sécha d’un revers de bras. L’heure n’était pas à s’apitoyer sur son sort mais plutôt à se préparer pour une journée avec son amie de classe, Ran. La blondinette s’étira longuement et bailla sans gêne, puis se releva de son lit et pris la direction de la douche. L’eau chaude lui fit un bien fou et elle se prélassa de longues minutes, l’eau perlant sur ses formes généreuses et sa longue chevelure d’or qu’elle secoua avec désinvolture. Séchée, elle ouvrit son armoire, enfin le coin de placard qu’elle occupait car ses camarades de chambre prenait de la place et sortir des multitudes de robes. Elle mit un certain temps à choisir la robe qu’elle porterait aujourd’hui mais opta pour une assez simple, noire avec de la dentelle à froufrous. Logan avait un style particulier, toujours en robe, avec des collants opaques ou parfois jambes nues, les cheveux détachés dans son dos, flottant allègrement. Un style rococo qui lui siégeait parfaitement bien, ressemblant à l’une de ces poupées de porcelaine que les femmes collectionnent. D’ailleurs, on la dévisageait souvent, non pas pour son style vestimentaire, mais pour sa beauté quasiment surnaturelle et le fait qu’elle soit étrangère. On lui demandait souvent d’où elle était native et à chaque fois qu’elle répondait Las Vegas, les yeux de ses interlocuteurs s’émerveillaient et on l’assénait de questions. Pourtant, la jeune américaine trouvait le pays du soleil levant assez intéressant, que ce soit la langue ou la culture. Certes différent de ce qu’elle connaissait depuis toute petite, mais tout de même intéressant pour qu’elle y prenne goût. A Las Vegas, tout ce qui comptait, c’était la fortune et la renommée qu’il fallait avoir ou acquérir. Ses pensées s’envolèrent quand on toqua à sa porte et qu’une mini-tornade brune la sortit de sa pseudo-léthargie, l’entraînant en courant à l’extérieur. Ran était pleine de vie que parfois la blonde avait du mal à suivre. Pourtant elle était toute petite, semblable à une collégienne. Logan se demandait souvent d’où elle tirait toute cette énergie ! Elles arrivèrent au parc, la journée s’annonçait sans nuages et ensoleillée, pour une fois. Ran s’élança sur une balançoire, incitant Logan à faire de même, lui annonçant en riant qu’elle voulait tester son endurance en sautant de la balançoire. D’ailleurs, elle l’avait encore appelée « Rapuntsu ». L’américaine avait remarqué mais n’avait toujours pas demandé ce que signifiait ce surnom étrange à la sonorité nippone. Logan prit place sur la seconde balançoire mais s’assis tranquillement sans un bruit, restant plutôt calme par rapport à Ran qui semblait excitée aujourd’hui. Elle se balançait lentement, levant les yeux vers la jeune demoiselle énergique.

« Little bird, tu vas te faire mal si tu te balances n’importe comment. Je me suis toujours demandé mais que veux dire Rapuntsu ? Tu sais bien que je ne suis pas très douée pour parler japonais. D’ailleurs ma note au dernier examen me force à prendre des cours de rattrapage. Ça me déprime. Crap. »

L’américaine lâcha un long soupir entre ses dents et continua de se balancer à un rythme régulier, reportant son regard sur le parc paisible en ce début de matinée. Les cours de rattrapage la démoralisaient et de plus, son niveau en japonais – surtout à l’écrit – ne s’améliorait pas des masses. Son accent prenait toujours le dessus et elle ne pouvait plus s’empêcher de placer des mots anglais dans presque toutes ses phrases. Son pays lui manquait et Joy aussi. Son estomac grogna et le rouge lui monta brusquement aux joues. Heureusement que c’était Ran et qu’elle la connaissait bien.

« Je crois que je commence à avoir faim, hum. La dernière fois j’ai vu une fille manger un étrange gâteau en forme de poisson avec de la pâte rouge* dedans ! Tu connais ça toi ? J’aimerais bien y goûter pour voir. »

Elle salivait déjà d’avance, rêveuse. Logan était friande des petites douceurs et adorait manger toutes sortes de plats consistants. Et la nourriture asiatique était vraiment excellente, elle devait l’avouer. Cela lui changeait des repas interminables avec ses parents et Joy quand elle vivait encore à Las Vegas, dans ces restaurants chics où le contenu de ton assiette est plus vide que plein. Et où les modèles des jeunes filles sont des anorexiques qui semblent faire le concours de la fille la plus maigre du monde. Pensive, elle continuait de se balancer, une légère brise venant caresser son faciès de poupée.

Logan eut un moment d’égarement en pensant à Raiponce, cette fille si connue pour ses longs cheveux d’or et sa beauté venue d’ailleurs. Ran flattait légèrement son égo en lui disant qu’elle était jolie, mais la brunette ignorait sans doute qu’elle aussi, malgré sa petite taille fluette, était vraiment adorable et à croquer. Perdue dans ses pensées et le regard noisette fixant un point imaginaire, elle sursauta presque quand la japonaise sauta de sa balançoire, retombant – heureusement – sur ses deux pieds, saine et sauve. L’américaine eut un soupir de soulagement et se leva à son tour, prête à suivre la jeune fille où qu’elle aille. La japonaise était si pleine de vie et énergique, parfois Logan avait du mal à comprendre d’où cette si petite demoiselle tirait toute sa joie de vivre. Son surnom « Little Bird » lui allait si bien, elle était pareille qu’un oisillon qui découvre et s’émerveille du monde. Souriant légèrement, elle se mit à suivre Ran sans trop se poser de questions, après tout elle connaissait bien mieux la ville que Logan, qui peinait déjà à retrouver son chemin quand il fallait rentrer au pensionnat. Après à peine cinq minutes les deux jeunes filles se retrouvèrent enfin devant le stand de taiyakis et Logan ne put s’empêcher de s’extasier devant les pâtisseries qui aveint l’air délicieuse, un éclat scintillant dans les prunelles. Si Joy voyait ça ! pensa-t-elle en lorgnant lentement sur les poissons dorés, humant délicatement le parfum qui s’en dégageait. Ran en acheta finalement quatre et Logan se promit de lui rembourser une fois rentrée aux dortoirs. Elle attrapa les deux gâteaux que la brune lui tendit et croqua dans l’un deux. C’était fondant et particulièrement sucré, mais vraiment excellent. Les joues rosies parce qu’elle était ravie, elle croisa le regard de son amie et avala sa bouchée avant de parler.

« C’est délicieux ! Ca ressemble vaguement à un beignet sauf que dedans ce n’est pas la même texture en fait. Ran, même si mon pays me manque, le tien me fait découvrir de merveilleuses choses. »

Finissant son premier taiyaki en un rien de temps, elle se rappela soudainement quelque chose. En effet, elle avait remarqué depuis quelques temps déjà que des élèves de Sei avaient accrochés sur leurs téléphones portables des strap tout mignons. Elle avait craqué pour ces décorations mais ne savait pas du tout à quel endroit en acheter et n’avait pas osé leur demander, de peur de se faire rembarrer parce qu’elle était étrangère. Essuyant ses lèvres d’un revers de serviette elle reprit la parole, scrutant Ran avec intensité. La nippone devait savoir où aller pour s’en procurer, après tout elle connaissait bien mieux les boutiques de la ville que Logan, qui généralement commandait ses vêtements sur internet.

« Dis Ran, on pourrait aller faire les magasins ? J’ai vu des strap et j’aimerais bien en avoir un ou deux à mettre son portable, je trouve ça trop chou. En même temps je pourrais visiter un peu, à vrai dire depuis mon arrivée je ne suis pas beaucoup sortie en dehors du pensionnat. Je connais pas très bien la ville, si tu n’étais pas là je serais perdue, parce que je n’ai absolument pas le sens de l’orientation ! »

Elle ria un peu et pris de nouveau une bouchée de son second taiyaki, tout en regardant la petite brune qui se régalait tout comme elle. Elle avait déjà dans l’idée d’acheter un strap et de l’offrir en cadeau à la brune, pour la remercier de lui avoir acheté à manger. Logan ne manquait pas d’argent, ses parents prenant le soin de lui envoyer chaque mois une petite somme rondelette pour subvenir à ses besoins. Elle rêvassait un peu en pensant aux nombreuses choses qu’elle ignorait encore sur le Japon.

Les deux jeunes femmes étaient toujours en train de vagabonder dans le parc, Logan regardant Ran avec attention. Cette dernière semblait perdue dans ses songes, jusqu'à ce que la voix claire et douce de l'américaine la fasse revenir à la terre ferme. La jeune nippone était vraiment très amusante, la blondinette appréciait énormément sa présence, à défaut d'avoir celle de sa sœur jumelle. Joy lui manquait terriblement, elle avait ce trou béant dans sa poitrine qu'elle n'arrivait pas à combler, peu importe les heures passées à s'amuser comme des folles avec Ran. Mais, au moins, elle pensait à autre chose en compagnie de la brune. Répliquant avec un sourire, Logan entama son second taiyaki également, laissant fondre la gourmandise dans sa bouche.

« D'ailleurs, il faudrait que tu me donnes ton numéro de téléphone Ran. J'aime bien envoyer des sms de temps en temps, pour prendre des nouvelles. Dommage que mon forfait ne me permette pas d'envoyer des texto à l'étranger, j'aurais pu discuter avec ma sœur. »

Finissant son taiyaki le regard perdu dans le vague, elle s'essuya les mains avec un mouchoir en papier et soupira longuement, songeuse. Comme elle le disait si bien, qu'importe l'amusement, elle n'arrivait clairement pas à combler cet absence pesante. Ran l'emmena cependant avec entrain à travers la ville, lui montrant tout ce qu'il y avait à voir d'intéressant et les deux s'arrêtèrent finalement dans un boulevard où des dizaines de boutiques étaient collées les unes aux autres. Yokûbo était certes une petite île, elle ne manquait pas de charme. Les rues étroites étaient souvent bondées de monde, entre les résidents et les nombreux touristes qui flânaient. L'air ambiant était chaud, ça respirait l'été. Entrant à son tour dans une petite boutique remplie d'accessoires en tout genre, Logan arqua un sourcil en entendant Ran s'exclamer.

« KAWAII DESU ! »

Curieuse de savoir ce qui pouvait tant adoucir son amie, la blonde jeta un regard ambré vers l'objet inanimé, un léger sourire porté aux lèvres. Un petit lapin crème, aux oreilles pendantes trônait sur un présentoir. Il y en avait plusieurs mais de différents coloris. Logan avait jeté son dévolu sur le noir, elle adorait cette couleur.

« Ils sont trop mignons ! Prends le beige, je prends le noir ; c'est cadeau pour m'avoir emmenée manger des taiyakis. »

Toujours ce sourire vissé au coin des lippes, elle parcouru le reste de la boutique avec attention. Les straps de téléphone étaient nombreux, bien trop nombreux pour que Logan fasse un quelconque choix. Se tournant vers la brune, elle haussa de nouveau le ton.

« Une idée de ce que je pourrais prendre pour mon téléphone ? »

L'américaine arqua doucement un sourcil, visiblement étonnée que Ran n'ait pas de téléphone. De nos jours, c'était possible de vivre sans ce petit bijou de technologie ? Secouant la tête doucement, elle sourit tout de même à la miss brune. Peut-être que vivre dans une si petite ville lui permettait de se passer de cellulaire, vu que tout le monde connaissait tout le monde. En tout cas, Logan trouvait ça un peu dommage, elle aurait aimé envoyer des sms à Ran et aussi l'appeler, de temps à autre. Plongeant à son tour ses yeux noisettes dans la vitrine, Logan parcourait des yeux les straps annoncés par la jeune fille à ses côtés. L'idée du Taiyaki lui plaisait vraiment, c'était en quelque sorte un clin d’œil à leur amitié.

« Bonne idée pour le taiyaki, je vais prendre ça. » déclara t-elle en posant son regard dessus.

Quand Ran lui fit le compliment de la princesse, ses joues prirent une très légère teinte rouge. Elle n'était pas une princesse, loin de là. Ran pouvait prétendre à ce titre, avec ses longs cheveux et son visage de poupon. Et le plus important, son infinie gentillesse. Logan se demandait parfois s'il y avait des limites à la bonté de sa jeune amie. Serrant le lapin noir contre sa poitrine, la jeune américaine était perdue dans ses pensées quand Ran lui adressa de nouveau la parole. Le magasin grouillait toujours de monde en cette après-midi agréable.

« J'vais l'appeler Douillet. Parce qu'il est tout doux. T'en penses quoi ? Tu devrais trouver un nom au tien aussi. »

Décidément, Ran était cent fois plus mignonne que Logan quand il fallait 'agir comme une fille. La gothic-lolita n'avait jamais songé à donner un nom à son lapin, à vrai dire. Les peluches entassées sur son lit étaient souvent des cadeaux des garçons qui étaient sous son charme ou alors des souvenirs de son enfance avec sa jumelle, à Las Vegas. Peut-être que Ran avait gardé une âme d'enfant, au fond d'elle. Logan esquissa un large sourire à l'encontre de son amie et fit mine de réfléchir un instant.

« Je trouve que ce nom est trop mignon. Ran, tu as vraiment une âme d'enfant, je t'envie ; tu sais ! Je vais appeler le mien... »

Ses joues se teintèrent de plus belle d'un rouge pivoine et elle baissa soudainement les yeux, visiblement trop gênée. À tel point qu'elle murmura presque entre ses lèvres, sur un ton très bas. Elle avait honte, mais puisqu'il fallait jouer le jeu, autant le faire jusqu'au bout.

« Fluffy... J'ai jamais été douée pour ce genre de choses ! » s'exclama t-elle le nez plongé dans son lapin, rouge jusqu'aux oreilles.