Bon, d’accord, c’est sorti tout seul, je le jure. Lith a parlé plus vite que sa pensée et ses sourcils se sont arqués en même temps qu’elle écoute le jeune homme lui demander de l’accompagner pour un déjeuner. De plus son sourire si parfait en est presque écœurant, filant à la demoiselle un sentiment de pur malaise. Déjà, faut qu’il arrête de l’appeler Lith, c’est dégoûtant. Et il pue le parfum de coureur de jupons. Elle les reconnaît entre milles, tous ces types comme Akira. Elle se relève, joignant ses mains derrière son dos, ses prunelles jaugeant l’interlocuteur du regard. Non, trop grand. Non, trop vieux. Non, trop tête à claques. Pas moyen de sortir avec un mec qui ne ressemble à rien d’autre qu’à un grand benêt lolicon. Mais dire non à de la nourriture, no way ! Elle atterrit aux côtés de Taito et penche la tête sur le côté, sa chevelure barbe à papa suivant le mouvement de son corps menu. Elle n’hésite plus et attrape le bras du jeune homme le tirant pour le forcer à bouger et plus vite que ça. Son estomac crie famine depuis trop longtemps elle a clairement besoin de s’empiffrer de malbouffe et pas de boulettes de riz. Qui mange des boulettes de riz à part les vieillards ? Taito est peut-être plus âgé mais pas au point de finir comme les petits vieux qu’elle aperçoit parfois devant la maison de retraite. Elle le bouscule et l’emmène jusqu’au fast-food, reconnaissable entre mille, parce que l’odeur de frites qui s’en dégage est trop forte. Elle le relâche enfin et se plante devant lui, le toisant. Ouais, bon, façon de parler parce qu’il est un peu plus grand qu’elle. Mais elle le jauge du regard, pour sûr.
« Franchement Taito, des boulettes de riz, sérieusement ? »
Elle penche encore la tête, secouant celle-ci en soupirant, une main sur le front. Comme pour montrer à tout le monde son exaspération. Enfin, plutôt, pour montrer à tout le monde combien ce type peut être vieux-jeu. Sans doute trop attaché aux vieilles traditions, vu son petit air de coincé intellect. Tout ce qu’elle peut détester, en somme. Alors autant dérider tout ça et l’emmener faire des folies, au grand dadais. Elle point de l’index l’entrée du fast-food où se presse une foule d’adolescents braillards.
« On va manger là et bien évidemment tu vas payer pour tout, hein ? »
En fait ce n’était pas vraiment une question, mais plutôt une affirmation sans la possibilité de refuser. Elle n’a pas d’argent Lith. Enfin, si, elle a bien son argent de poche mais en toute logique quand un garçon propose à une fille d’aller manger un morceau, il paie. Haussant les épaules sans plus attendre, elle suit la foule et entre dans le bâtiment, cherchant des yeux une table libre. Et se tourne de nouveau vers Taito, ses yeux fixant les siens.
« Bon, Mr. Je-crains-de-faire-chier-Lith, qui est la fille à qui tu dois des excuses ? Elle est comment et c’est quoi son nom ? T’as déjà une petite idée de ce que tu vas lui dire, hm ? Non, parce que voilà, je pense que tu es au courant, mais les filles, ce sont de vraies garces et elles ont le pardon difficile. Je ne me mets pas dans le lot parce qu’on me rabâche que je suis un véritable garçon manqué. Et ça me convient, j’ai pas envie de m’abrutir le cerveau en pensant à avoir un petit ami ou quel maquillage je vais porter demain. Enfin bref, raconte-moi tout ! Je suis curieuse. Et j’ai tout mon temps, puisque ma mère adoptive semble m’avoir carrément oubliée. Sûrement trop occupée à son boulot. »
C’est quoi son problème, il n’aime pas les frites ? Ah, mais peut-être que ce gars est en fait un prince adulé ou quelque chose du genre, habitué aux grands restaurants gastronomiques où ton assiette équivaut à un repas d’anorexique. Certes après un fast-food t’as souvent mal au ventre, deux heures après t’as de nouveau faim, mais sur le coup, c’est tellement bon ! Alors son petit air de vierge coincée du cul il peut se le garde et foutre le camp s’il n’est pas content, non mais. Lith commande toute excitée - elle adore manger au fast-food – un menu avec plein de frites et un hamburger à double étages. Bah quoi, quand on n’a pas mangé depuis des lustres, on se prive pas ! Et Lith ne se prive jamais de ce dont elle a envie. Se priver c’est comme se condamner à mort, ça ne sert à rien. Et puis elle emmerde les gens qui la trouvent grasse d’abord. Réceptionnant son menu avec presque la bave aux lèvres, elle s’attelle à trouver une table et s’assieds sans plus attendre, son compagnon de la journée toujours collé à ses basques. Il en a pas marre de traîner avec une stupide gamine de quinze ans ? En plus il a pas l’air trop à l’aise en sa présence. M’enfin, ça, c’est pareillement de son côté, alors bon. Elle l’écoute vaguement, plutôt concentrée sur ses frites qu’elle engloutit à une vitesse fulgurante que par son discours long et morne. Et chiant. Surtout qu’elle a rien compris parce qu’il est resté dans le flou. S’essuyant la bouche et les doigts avec la serviette fournie par le service, elle ingurgite une quantité invraisemblable d’Ice-Tea et soupire un bon coup avant de se caler dans sa chaise, sortant son cellulaire de sa poche. Tiens, bizarre, depuis quand elle a changé de téléphone ? Et surtout, depuis quand elle a assez d’argent pour se payer un portable dernier cri ?! Si elle l’a chapardé à un riche, elle ne s’en souvient pas. Le déposant sur la table, elle scrute son interlocuteur et soupire.
« Bah au lieu de tergiverser cent ans sur ça, empresse toi d’aller la voir et de t’excuser, t’es bête ou quoi. Et je me fiche de savoir qui c’est, mais si elle mérite d’avoir des excuses ; arrête de discuter et glander avec moi et fonce. Les mecs sont toujours aussi indécis ? Après on critique les filles… N’importe quoi. Prouve que tu as un cœur et va la trouver. »
Lith pianote sur son téléphone ensuite et trouve des numéros inconnus et des sms qu’elle ne se souvient pas avoir envoyé. Quelque chose ne tourne pas rond, c’est certain. Mais trouver quoi s’avère difficile pour la jeune fille qui commence à douter. Elle n’est pas du genre paranoïaque ou quoi, mais il y a des sms étranges dans sa boite de réception. Qui parle de missions, de guerre, de renverser les mecs. Plein de choses incompréhensibles qu’elle préfère ignorer. Mais en cherchant dans son répertoire, elle ne trouve pas le numéro de Reira. Disparu ! Comment est-ce possible alors qu’elle l’a appelé hier en rentrant des cours ? Heureusement qu’elle connaît son numéro par cœur.
« J’en ai pour une seconde. »
Elle tapote les chiffres l’un après l’autre et tends le cellulaire vers son oreille, le collant à son tympan. Ça sonne. Encore et encore, sans réponse. Lith insiste et quelqu’un finit par décrocher. Mais c’est une voix qu’elle ne reconnait pas et encore moins celle de sa mère adoptive. Elle raccroche brusquement et jette le téléphone sur la table dans un accès de colère.
« Mais putain c’est quoi ce bordel ?! Ma mère ne répond pas et c’est un inconnu qui a décroché ! Je ne peux pas rester là, je dois savoir ce qu’il se passe. »
Délaissant le reste de son repas, elle se lève, faisant crisser sa chaise sur le sol et se précipite vers l’extérieur, bousculant plein de gens au passage. Une fois à l’extérieur, elle ne reconnait pas les lieux et coure le long de la rue principale. Cette fois on la pousse violemment et elle s’effondre sur l’asphalte, sa tête percutant douloureusement le sol. Et c’est le trou noir. Le vide total. Le Néant. Elle entends des pas autour d’elle mais ses paupières sont closes pour le moment.
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Dim 10 Mar - 16:00
