« Satané chat, pourquoi il a fallu que tu t’enfuis vers le parc ! Et dans un arbre en plus ! T’es vraiment casse-couilles, je vais devoir grimper là-haut, hein… Fuck. »
Elle bouillonnait intérieurement, tapant nerveusement du pied. On lui avait assigné une tâche, celle de récupérer un chat de gouttière qui faisait des siennes au sein de l’établissement. En échange de quoi elle serait dispensée pendant tout un mois de cours de sport. Evidemment elle avait accepté sans vraiment réfléchir à quoi que ce soit, ignorant que ce chat sauvage courait très vite et savait parfaitement bien grimper aux arbres. Mais après tout, ce n’était pas un félin pour rien. La jeune fille aux cheveux plus que rose soupira et commença donc à grimper sur le vieux chêne. C’était difficile de trouver appui sur les branches mortes de ce vieil arbre et elle manquait à chaque moment de tomber sur le sol. Le chat la narguait gentiment en s’étant allongé sur la plus haute branche, faisant sa toilette majestueusement. Elle s’en rendit compte, elle détestait les chats de tout son être. La dernière fois qu’elle avait voulu en caresser un, il lui avait allégrement griffé le visage, lui laissant des marques rouges bien visibles et on s’était moqué d’elle. Depuis, Lilith éprouvait une sorte de répulsion envers cet animal, comme une sorte d’allergie en plus virulent. Ruminant sa colère en injuriant ce maudit chat de tous les noms possible et imaginables, elle atteignit enfin la branche en question. A plat ventre sur celle-ci, elle avançait à tâtons, allongeant simplement le bras pour atteindre la boule de poils qui la fixait de ses prunelles grises.
« Encore un peu & je t’ai, idiot de chat. Juste un peu… »
Lilith tendait le bras au maximum, ses doigts longilignes effleurant la gueule de l’animal qui la scrutait du regard. Ce dernier se leva lentement et sauta simplement de son perchoir, atterrissant sur ses pattes au sol et s’enfuyant à toute vitesse. Cette fois, c’était trop pour la Queen. Elle lâcha une injure grossière et perdit l’équilibre, tombant à son tour sur le sol. Sauf qu’elle n’était pas un félin et retomba lourdement, se cognant l’arrière du crâne contre l’asphalte de fleurs et d’herbe fraîchement coupée. Néant. Pendant plusieurs longues minutes semblables à des heures, elle resta inconsciente, paupières closes. Quand elle ouvrit enfin les yeux ; un sourire délicat s’inscrivit sur ses lippes rosées. D’apparence, rien n’avait changé chez la reine des amazons, mais dans sa tête, c’était tout autre chose. Elle s’assit en tailleur, un léger sourire vissé au coin des lèvres, la moue enfantine. Pourquoi était-elle là, sous cette fine pluie ? D’ailleurs, où était-elle ? Se relevant gracieusement, elle observa son corps un moment. Elle était habillée avec un uniforme de lycéenne, sauf que ses vêtements étaient arrangés avec une jupe plus que courte et son chemisier blanc était parsemé de pin’s. Peu importe, pensa t’elle en haussant les épaules avec nonchalance. Ayant fini sa contemplation, la jeune fille se dirigea vers ce qui lui semblait être la sortie mais malheureusement son sens de l’orientation était plus que médiocre. Heureusement, elle aperçut quelqu’un marcher au hasard et se précipita vers lui, toujours ce sourire enfantin sur la bouche. En arrivant à sa hauteur, elle le dévisagea intensément, comme avec l’impression de l’avoir déjà vu quelque part, mais aucune idée d’où et quand. Elle lui adressa enfin la parole, le ton de sa voix ayant changé, étant beaucoup plus aiguë et gamin.
« Aniki*, tu saurais où on est ? Je ne trouve pas la sortie, je crois que je me suis perdue. »
Observant un long moment le jeune homme qui semblait perdu dans ses pensées ; Lilith hocha la main de gauche à droite pour le faire réagir, puis finalement repris la parole, toujours avec cette voix d’enfant égaré.
« Quelque chose ne va pas ? T’as l’air perdu dans tes pensées et tu sembles errer sans but. Reira me dit souvent que quand on n’a pas le moral, le mieux est d’en discuter avec quelqu’un pour soulager sa peine. On ne se connaît pas mais si tu veux en parler, je suis disposée à t’écouter. Je m’appelle Lilith & j’ai quinze ans, je suis en dernière année au collège. Ravie de te rencontrer ! »
Régression suite à un traumatisme crânien, ça vous parle ? Quand Lith s’est cognée contre le sol, sa mémoire en fut altérée et donc la jeune fille est retournée trois ans auparavant dans le temps. Restant debout devant l’inconnu, le chat qu’elle recherchait vint à se coller à sa jambe ; se frottant en ronronnant. La jeune demoiselle toute guillerette s’affaissa près du sol pour le caresser, toujours ce grand sourire glissé sur ses lèvres, laissant apparaitre une dentition frôlant l’indécente perfection. Jouant avec sans se soucier de l’endroit où elle se trouvait actuellement, elle patientait simplement. Et son ventre se mit à grogner, elle gratta derrière les oreilles du félin, lui adressant la parole avec une tendre affection.
« J’ai le sentiment de t’avoir déjà vu quelque part, le chat… Tu as faim toi aussi ? »
Sometimes I think that it's better ; To never ask why.
Il est bizarre ce gars. Comment connaît-il son surnom alors qu’elle ne l’a pas encore donné ? Et pourquoi ne se présente-t-il pas à son tour, dans la logique des choses ? Est-ce qu’il est aliéné ? Ou tout simplement stupide. Peut-être les deux, en fait. Et il y a ce sentiment de déjà-vu qui la ronge de l’intérieur. Quelque chose qui semble remonter à la surface mais qu’elle n’arrive pas à faire ressortir. Un souvenir éparpillé. Une bribe de mémoire qui lui fait clairement défaut. Enervant. Lith fait les cent pas, le laissant parler sans répliquer pour le moment, plongée dans ses pensées. Le chat accoure vers lui ce qui fait sortir la demoiselle de ses songes et elle le suit sans un bruit, s’asseyant à son tour sur le banc, laissant un espace infime entre eux. Il est plus âgé, plus mature, mais vraiment irrespectueux envers elle. Comme tous les adultes qu’elle connait, sauf Reira. Elle attrape le chat dans ses mains agiles et le porte sur ses cuisses apparentes et fermes. Le félin ronronne au creux de ses bras et se roule en boule sur elle, elle regarde le ciel à son tour, n’y trouvant aucun intérêt par contre. Et réponds, presque sur un ton monotone, comme un robot conditionné pour dire ces mots-là.
« Si tu veux t’excuser auprès de la personne à qui tu as fait du tort, fais-le, au lieu de te questionner. Je ne comprendrais jamais les adultes, décidément. »
Elle laisse la pluie courir le long de ses joues pâles, s’insinuer au travers des fibres de ses vêtements, les rendant quelque peu transparents. Resserrant l’étreinte sur la boule de poils qui la réchauffe, elle sourit et hausse de nouveau la voix, regardant simplement le parc dénué d’êtres humains. Juste elle, lui et ce chat qui semble se reposer paisiblement sur les genoux de la jeune fille. Elle a faim, il fait froid et n’a qu’une envie, rentrer à la maison, retrouver sa chambre douillette et confortable, manger des bons cupcakes devant une série TV, roulée sous sa couverture.
« C’est malpoli de ne pas se présenter alors que l’interlocuteur l’a fait. Mais je te pardonne, il doit probablement te manquer une case ou quelque chose du genre. Après tout si tu avais toute ta tête, tu ne serais pas en train de vagabonder à droite & à gauche dans ce parc vide mais plutôt en train de présenter tes excuses à la personne qui le mérite. C’est pour ça que je vous déteste, vous les adultes. Vous êtes toujours en train de réfléchir et jamais vous n’agissez. Et pendant ce temps, les autres souffrent en silence. »
Rougissant un peu, elle secoue la main lentement et reprends de plus belle, un peu mal à l’aise. Pourquoi est-ce qu’elle parle autant alors que d’habitude, elle reste dans son mutisme permanent face aux autres ? De plus c’est un garçon. Déjà qu’elle ne discute pas vraiment avec les filles de sa classe, voilà qu’elle se met à ouvrir sa bouche devant un étranger, comme si elle le connaissait depuis des lustres. Quelque chose l’agace profondément.
« J..Je ne parle pas de moi, ne te méprends pas, compris ? Ce que je veux dire, c’est que tu pourrais bouger ton cul au lieu de demander à une fille plus jeune que toi de te conseiller. Je pense que c’est le mieux pour chasser tes démons intérieurs. »
Le chat miaule au moment où elle finit sa phrase, comme pour approuver ses dires. Alors elle éclate de rire, un rire cristallin et enfantin, caressant la tête du félin gentiment. Ses joues rosies reprennent une couleur diaphane et ses doigts longilignes dessinent lentement les courbes du chat qui ronronne sous les caresses.
« Toi aussi t’es d’accord avec moi le chat ? »
Jouant avec l’animal, elle en oublie presque qu’elle est avec un inconnu sur un banc dans un parc qu’elle ne connait pas. Et que si elle ne rentre pas bientôt, Reira va se faire du mouron. D’ailleurs, c’est étrange car d’habitude, Lith a le droit à une dizaine de SMS et d’appels de sa part quand elle est en vadrouille. Quelque chose cloche. Mais impossible de déterminer quoi. Elle sourit simplement en laissant son regard flâner sur le chat.
Quelque chose la travaille inconsciemment. Elle réponds sans le regarder, laissant tranquille le chat qui somnole doucement. Ce mec la fait définitivement flipper. En plus, qu'il lui parle de sa vie, qu'est-ce qu'elle a carrer au juste ? Ses paroles fusent, incisives et tranchantes, comme des lames de rasoir.
« Eh mec, si t’as pas le moral, ne viens pas me parler. Je n’aime pas les pleurnicheurs et les suicidaires. Que tu aies été abandonné ou pas, je pense que ce n'est pas une raison pour déprimer. De plus, qu’une gamine de quinze ans arrive à te faire ouvrir les yeux, c’est probablement la chose la plus improbable qu’il m’ait été donné d’entendre. T’es quoi, une espèce de pervers lolicon ? ‘Tain, je devrais arrêter de parler avec des inconnus comme ça moi. »
Ses iris croisent celles du jeune dénommé Taito et pendant un bref instant, elle semble se remémorer quelque chose. Comme une sorte de flash-back, mais c’est encore trop flou pour déterminer la nature exacte de ce souvenir. Alors elle préfère passer à autre chose comme si de rien n’était. Taito ennuie le chat qui le lui rend bien et Lith ricane sans gêne, se moquant ouvertement de lui. Le félin finit par sauter des genoux de la demoiselle et décide de faire un tour dans les environs. Lith le laisse aller, de toute façon ça reste un chat sauvage et errant. Un peu comme elle en ce moment, à vrai dire. Taito la fixe en souriant. C’est définitivement un pervers attiré par les jeunes filles. Tressaillant, Lilith se laisse choir sur le banc et ramène ses genoux à son menton pour le poser dessus. Certains diront que cette position est carrément inconfortable, mais allez comprendre pourquoi, elle aime bien s’asseoir comme ça. Puis survient la question fatidique. Toujours cette maudite question qui rebute la demoiselle aux cheveux rose. Un soupir effleure ses lèvres tandis qu’elle observe le parc silencieux. Elle sait qu’il la regarde, alors elle se contente de répondre sur un ton atone, comme si elle s’était entrainée pendant des heures à préparer son monologue.
« Nope, pas de famille. Ma vraie mère m’a abandonnée bébé devant une maison. Sans doute a-t-elle regretté de m’avoir mise au monde. Mon père… Jamais entendu parler à vrai dire. Il est peut-être mort. Mais je ne suis pas dans un orphelinat, une femme m’élève comme si j’étais sa propre fille parce qu’elle, elle ne peut pas avoir de gosses. C’est Reira. Elle dit que grâce à ma venue, elle a pu se libérer du joug de son mari. Mais en même temps, par ma faute, elle trime comme une malade pour me nourrir, m’habiller et me permettre de suivre des cours dans une école réputée. Enfin bref, voilà l’histoire de ma vie. Passionnant hein ? »
Elle conclut avec une pointe d’ironie dans sa voix, histoire de détendre l’ambiance lourde et pesante qui se profile. Perdue dans sa contemplation d’un parterre de fleurs colorées, Lith hausse de nouveau le ton, sans toutefois jeter un seule regard à son interlocuteur. A-t-elle un quelconque intérêt à lui accorder au final ?
« Et toi alors, t’as quelque chose à me raconter, histoire que je n’endorme pas ? »