La grand-mère la plus démodée de toutes les grand-mères

Elle ne sait même plus comment elle a fait pour arriver ici. Ses larmes ont séchés sur ses joues et elle regarde bêtement son verre plein. N’allez pas croire qu’elle fait partie de cette jeunesse dépravée qui vient se bourrer la gueule seule dans un bar pour oublier quoi que ce soit, même si effectivement son verre contient de l’alcool elle n’est pas soûle. Le verre lui a été offert déjà, et si elle est ici c’est parce qu’un ami y travaille. Mais actuellement il lui manque une partie de la journée, elle se souvient bien du matin mais à partir de là tout est vague jusqu’à maintenant. Elle se rappelle d’un mec, c’est sûrement pour ça qu’elle est ici, parce qu’en revoyant son visage elle termine presque son verre. Elle refuse de se souvenir de la suite, elle saute une partie, cette partie qui a laissé sur son épaule droite une marque pourpre. Putain c’était fort, y’avait quoi dans le verre ? Le reste est encore plus flou, mais c’est normal, c’est parce qu’elle a vue Joe et c’est pour ça d’ailleurs qu’elle est droguée à ce point. Ça l’étonne même de percevoir aussi bien la réalité, d’habitude il vaut mieux éviter de décrire son état.

Il n’est pas tard heureusement, à peine 8h, elle ne devrait pas tarder à rentrer. Mais pourtant à chaque fois qu’elle tente de descendre de son siège elle sent les larmes remonter jusqu’à ses yeux et elle se rassoit. Aujourd’hui encore elle aura fait le tour de son panel d’émotions. D’abord le matin, la joie, après tout il faisait beau, elle avait chanté sous la douche et passée une partie de la matinée à rire. Tout le monde était plus ou moins content de la voir se réveiller du bon pied. Mais c’était assez étonnant qu’à aucun moment elle ne fasse son petit coup de la lunatique. Hanae était devenue une bombe à retardement, une bombe qui explose quand personne ne s’y attend. C’est donc le midi qu’elle passe de la joie à la colère, ça a commencé avec une fille qui a pris le dernier yaourt au chocolat. Hanae n’aime pas les coups du destin, style il ne reste plus qu’un yaourt au chocolat et paf la meuf juste avant le prend. Puis il a fallu qu’un mec chez les bastards soit de mauvaise humeur pour qu’elle se fritte avec. Là aussi c’était un coup du destin, la cantine était relativement calme et il a fallu que les deux seules personnes qui sont énervés s’assoient l’une à côté de l’autre et en plus elles ne pouvaient pas se voir en peinture en temps normal. Pas besoin de raconter la suite, y’a du yaourt au chocolat (devinez à qui il appartenait) qui a volé, des fourchettes qui se sont transformées en fléchettes et les chaises ont fait « cuicui ». Personne n’a perdu mais ils ont tous les deux gagné le droit de revenir mercredi après-midi (le lendemain) pour nettoyer de fond en comble la cantine. Ça n’a certainement pas surprit la vie scolaire et tout le patin d’apprendre qui était impliquée. Hanae ne l’a pas supportée, vous voyez c’était sa journée « bonne attitude » (depuis qu’elle va voir Shinya elle fait ça) celle où elle ne sèche aucun cours, ou elle participe même en math, celle où elle fait attention à ses humeurs. Et là, ce crétin avait tout cassé. En plus il lui avait fait un énorme bleu sur l’épaule.

La suite s’est déroulée comme toutes les autres, elle a passé une heure à alterner pleures et envie de meurtre puis elle a croisé Joe. Elle n’a jamais été autant défoncée, et elle n’a jamais aussi bien réagi. Elle se lève encore une fois et se rassoit immédiatement, elle devrait peut-être attendre que les larmes sur ses joues sèchent définitivement. Alors qu’elle sent un regard posé sur son dos elle s’interroge soudainement, elle ne sait même plus comment est-ce qu’elle est habillée… Un bref coup d’œil la rassure plus ou moins, une robe noir à bretelles avec des converses, enfin ce n’est pas ça qui la rassure (c’est même certainement pas la longueur de sa robe qui va la rassurer), non ce qui est bien c’est que par on ne sait quel miracle un pull épais est posé à côté d’elle et que techniquement i lui appartient. En fait il ne peut appartenir à personne d’autre, y’en a pas deux des pulls comme ça (et heureusement pour le monde de la mode). Un pull tellement énorme et digne de la grand-mère la plus démodé de toutes les grand-mères qu’elle est sûre de n’avoir aucun problème sur le chemin du retour. Et la seule raison pour laquelle elle garde ce truc c’est parce qu’un ami lui a offert pour déconner.

Plus de problème

Elle dépose le pull sur ses genoux et fait tourner le verre entre sa main, elle hésite à le finir, parce que c’est vachement fort ce truc. C’est quoi d’ailleurs ? On lui a dit mais elle a oublié, ça devient une habitude aujourd’hui, d’oublier. Quelqu’un s’assoit à côté d’elle, à peine est-il assit qu’elle tourne la tête. Une chemise blanche, elle aime bien les chemises blanches, ça donne la classe. Ses yeux bleus glissent lentement le long du corps de l’homme, il porte un jean noir, un homme simple et classe. C’est bête mais on en voit de moins en moins, elle n’en connait qu’un comme ça d’ailleurs.

- Hanae ? Tout va bien ?

Cet homme connait son prénom. Ses chaussures sont bien… Elle redresse vivement la tête, ses yeux s’agrandissent à la vue de l’homme à la chemise blanche. Monsieur le directeur-adjoint. Alors là. Si elle pouvait tomber sur le cul elle serait déjà par terre, c’était bien la dernière personne qu’elle pensait rencontrer ici. Et ça se lit clairement sur son visage, bouche entre-ouverte et les yeux ronds elle ne peut pas mieux exprimer son étonnement.

-Euh…

C’est tout ce qu’elle est en mesure de dire. Elle se sent mal, ce n’est pas qu’elle n’est pas contente de le voir, c’est surtout qu’elle n’est ni au bon endroit ni dans le bon état pour faire face au directeur-adjoint. Non vraiment, un bar, les joues mouillées, encore un peu défoncée, et il avait sûrement entendu parler de la bataille dans la cantine même si c’est assez courant, c’était loin d’être les bonnes conditions pour voir Takeda. Certes leur relation c’était améliorée, par rapport au début où elle ne pouvait même pas le voir en peinture, comme à peu près tous le personnel éducatif, il y avait eu du changement, mais c’était quand même un peu limite comme situation.

-Euh, je…

Son regard se dépose sur le verre qu’elle tient. Elle culpabilise, elle se sent bête d’être dans cet état face à lui, défoncée et avec un verre d’alcool. Youpi l’image. Pourquoi est-ce qu’elle culpabilise devant lui ? La logique d’Hanae n’est peut-être pas la bonne quand il s’agit de résoudre des problèmes, et alors que deux solution s’offrent à elle, pousser discrètement le verre ou l’ignorer, elle choisit une tout autre option. Elle boit tout ce qu’il restait d’une traite. Plus d’alcool, problème résolu.

-Vous allez me donner des heures de colles ?

Sa voix se brise sur la fin, elle va –encore, pleurer.

Phobie des pots de yaourt

- Je ne suis pas certain que ça te ramène les pieds sur terre de toute façon. Qu'est-ce qui s'est passé?

Ses paupières s’abaissent et laissent les larmes qui noyaient ses yeux bleus rouler sur ses joues. Son chignon est tombé dans sa nuque depuis longtemps et les mèches s’en étant échappées sont maintenant collées sur ses pommettes. Elle regarde le bois qui recouvre le comptoir sans oser lever le regard, pourtant ses paroles l’ont marqué, effectivement les pieds sur terre elle ne les a plus depuis un moment.

-On a dû vous dire pourtant. La bataille dans le réfectoire entre moi et l’autre conn…crétin. Il fallait qu’il soit de mauvaise humeur lui aussi.

Enfin, elle l’était de mauvaise humeur aussi. C’était à cause de la fille et du yaourt au chocolat. Elle aujourd’hui elle devait être de bonne humeur, mais fallait qu’elle prenne le dernier yaourt. C’est comme si les gens s’étaient ligués contre elle, mettre le dernier yaourt, lui laisser la place à côté du mec de mauvaise humeur. Soupire.

-Y’a des jours comme ça…

Sa main vient dégager les mèches gênant son regard, elle se sent désolée, désolée de lui offrir cette image-là d’elle, comme si elle ne voulait pas le décevoir à ce point. Elle dégage le verre sur le côté, faut mettre ce truc hors de vue, ça fait perdre la raison ces choses-là. Elle n’aurait pas dû finir le verre mais on mettra ça sur le coup de la drogue. Ses larmes s’arrêtent, au moins elle pourra mettre les yeux rouges sur le compte des pleurs, ça commence à faire beaucoup de fausses excuses.

-Tu as fait quelque chose pour ton épaule? Tu devrais au moins mettre de la pommade.

Si un point d’exclamation pouvait apparaitre à côté d’Hanae son état actuel serait parfaitement retranscrit. Ses yeux se lèvent lentement entre les mèches de sa frange et glisse de son épaule au visage du directeur adjoint. Il s’inquiète. Y’a pas trois milles personnes qui s’inquiètent de votre épaule quand vous avez déclenché une bataille dans la cantine et qu’on vous retrouve dans un bar. Sa mère par exemple n’en aurait rien à foutre.

-Non… Mais je mettrais de la pommade alors.

Elle laisse le silence s’installer pendant qu’elle le regarde puis comme elle ne trouvait pas la réponse à sa question elle lui demande.

- Vous n’êtes pas énervé ? Pourtant y’a de quoi. Mais vous êtes jamais énervé.

Le directeur adjoint n’est pas comme elle, à péter des plombs pour un oui ou pour un non, à faire étalage de ses humeurs, non, lui il a le sang-froid, du moins face à elle. Parce qu’elle en connait qui à sa place auraient jeté l’éponge, et elle avec. Elle voudrait détourner la conversation, mais son esprit shooté l’empêche de le faire subtilement, elle commence à dire n’importe quoi.

-En fait vous êtes drogué, c’est pour ça que vous vous énervez pas ? Ou vous aimez pas les yaourts au chocolat. Comme une phobie des pots de yaourts…

Elle se tait. D’accord, elle s’enfonce. Déjà on ne dit pas au directeur adjoint qu’il est drogué, peu importe qu’on l’aime bien ou non. Andouille.

-J'ai pas les pieds sur terre c'est ça...

Noon, elle l'a pas du touuut mal prit.

Alors ça prend un café ?

C’est vrai. Des rumeurs elle en avait jamais autant entendue qu’à Sei, de la plus folle à la plus vraie, elle en avait été victime, elle en avait lancé, des vérités, des mensonges, le plus drôle c’est quand elles restent. Par exemple y’en avait des tonnes sur Takeda, il parait qu’il a été dealeur, qu’il adore se déguiser en canard, que c’est un gros fêtard et qu’avant c’était une femme. Elle n’avait pas pu vérifier une seule de ces rumeurs mais vraiment, personne n’y échappe. L’imaginer en canard c’était quand même bien amusant.

-Vous avez raisons…

Elle se retient de lui demander, pour le déguisement, mais dans son esprit elle l’imagine en canard, et ça la fait même sourire alors qu’elle est une nouvelle fois au bord des larmes. C’est comme si y’avait un décalage entre le haut et le bas de son visage…

-Oh que si, crois moi je m’énerve parfois, mais face aux élèves j'évite, ça ne sert à rien de chercher à se mesurer sur le point de la colère non? Vous le faites déjà très bien entre vous, et mon travail est de calmer le jeu, pas d'attiser la flamme.

Elle hoche la tête, si même le directeur-adjoint s’énervait l’établissement ressemblerais rapidement à une boucherie hurlante. Les élèves à Sei ont pratiquement tous le sang chaud, les débordements arrivent vite et elle en est la preuve, un pot de yaourt quoi.

-Hum, c’est vrai qu’on s’en sortirait plus. Mais parfois ça fait du bien de se lâcher sur le premier qui passe.

C’est plus que parler en connaissance de cause là, limite c’est du témoignage. Lâcher sa colère sur le premier qui passe elle sait le faire ça oui.

-Bon d’accord pour le yaourt c’était un peu exagéré.

Un serveur se présente une nouvelle fois au directeur-adjoint, c’est à croire qu’il a eu un coup de foudre. Il attend encore sa commande, il se décide à prendre un café. Vue la tête du serveur soit il a quelque chose contre les cafés soit Takeda n’a pas une tête à en boire. Les yeux d’Hanae s’arrondissent lorsqu’il rajoute un « pas ce soir ». Non, elle se fait des idées. Non, non.

-Je t'assure que je suis clean.

Y’a de quoi relancer plus d’une rumeur avec tout ça. Peut-être qu’elle se fait des idées pour le café. Elle pose les coudes sur le comptoir et appuie ses joues sur ses mains. Si ça se trouve c’est que d’habitude il prend une limonade et du coup là ça le surprend qu’il prenne un café… Elle parle de pieds sur terre, pourquoi est-ce qu’elle dit ça ? Bien sûr que si elle a les pieds sur terre. Certes, ce n’est pas le meilleur moment pour le démontrer.

- Non, en effet, mais ça ira mieux demain non? Et puis pense à autre chose, il faut aller de l'avant Hanae, c'est aussi pour ça que tu es à Sei.

Elle baisse les yeux, non, ce n’est pas vraiment la raison exacte de sa présence à Sei. Du tout même. Vous voyez, sa mère a d’autre priorité qu’une fille en pleine crise d’identité.

-Vous croyez vraiment que je suis là pour aller de l’avant ?

Peut-être finalement. Pour commencer autre chose, bien qu’elle n’ait fait que s’enfoncer depuis son arrivée il y a bien un moment où elle pourra repartir. Le serveur apporte le café de Takeda, pourquoi il la regarde comme ça ? Peut-être qu’il se demande ce qu’a pu lui trouver le gars qui lui a offert le verre, ou alors il se demande si elle va encore exploser en larme parce qu’elle a vidé son stock de mouchoirs. Elle le regarde dans les yeux et hausse un sourcil, il s’en va. C’est ce qu’aurait dû faire le mec à côté de qui elle était assise ce midi, mais lui il avait préféré s’énerver.

-Tu veux un chocolat chaud? C'est pas comme le yaourt mais...

Avec ses mains sur ses joues elle fait pivoter lentement son visage vers le directeur-adjoint, il sait parler aux femmes lui. Ses yeux bleus le regardent soudainement intéressés, cette offre est très intéressante. Elle se montre méfiante, ses paupières se plissent.

-Je vous dois quoi en retour ?

Un chocolat chaud

Il dit que ça ne se voit pas mais qu’il est calculateur, mais ça se voit. Il n’est pas directeur-adjoint pour rien quand même, il aurait répondu oui à « ça fait du bien de se défouler sur le premier qui passe » là on aurait pu douter de sa place dans l’administration, d’ailleurs c’est le seul qui semble justifier sa place. Non parce que y’en a on se demande ce qu’ils foutent là, mais ce n’est qu’une question de point de vue, et celui d’Hanae n’est certainement pas le plus objectif. Bref, elle a beau en avoir pensé du mal, avoir eu envie de l’enterrer derrière les chiottes, avoir eu envie de lui exploser la tronche c’est le seul qui jusqu’ici lui a prouvé qu’il avait raison, et qu’il n’était pas seulement là pour l’emmerder.

-Vous vous trompez, ça se voit que vous n’êtes pas un Bastard.

Bien sûr elle entend par là la définition de ce que sont les bastards, les adultes n’ont jamais été inclus dans la guerre bien qu’on soupçonne certain d’y fourrer un peu trop leur nez… Pourquoi est-ce qu’elle lui a demandé ça, pourquoi elle lui pose une question aussi débile que « vous croyez que je pourrais aller de l’avant ? » on ne demande pas ça à un directeur adjoint. On ne peut demander ça qu’à soit même, elle le sait, y’a qu’elle pour croire en elle, personne ne le fera à sa place, ni sa mère ni qui que ce soit.

-Je ne crois rien, je ne suis pas dans ta tête et honnêtement je n'aimerais pas y être.

Elle grogne en haussant un sourcil.

-Ah bin merci !

Il cherche à l’énerver là où juste à la faire pleurer ? Elle croise les bras et détourne la tête, déjà dans son cœur la peine et la colère se battent pour savoir qui jaillira la première, un peu comme une bombe. Pourtant Takeda semble s’y connaitre en désamorçage…

-Je ne peux pas t'aider à maitriser ton trop plein de sentiments, en revanche, je peux toujours ramasser les pots cassés, ça t'évitera de le faire et te permettra de voir plus loin que le lendemain.

Son regard froncé est toujours détourné mais ses épaules de nouveau détendue affichent la victoire des paroles de l’adjoint. Il sait s’y prendre quand même, lorsque l’on vexe Hanae il est impossible de se protéger de l’incendie qui suit pourtant il avait su éteindre la flamme à sa source. Ça lui fait tout drôle qu’un adulte sache lui parler, il lui rappelle quelqu’un, peut-être quelqu’un qu’elle n’a jamais connu mais elle est sûre d’avoir déjà eu besoin d’une personne comme lui.

-Rien, je te l'offre. Tu n'as qu'à te dire que c'est un dédommagement pour le manque de yaourt au chocolat à la cantine.

Si l’amas de cheveux violet cache le visage d’Hanae aux yeux de Takeda il est impossible d’avoir loupé le léger mouvement effectué par ses épaules et le souffle brusque de la jeune fille. Alléluia, elle rit. Sa tête bascule en arrière et elle sourit en direction de l’adjoint. Même si elle n’avait pas clairement expliqué l’histoire des yaourts il avait quand même fait l’effort de reconstituer le tout.

-Bon, puisque c’est proposé comme ça, si ça vous dérange pas j’aimerais bien un chocolat chaud.

Elle regarde le comptoir puis relève la tête.

-Vous savez parler aux élèves en fait.

Échec

-Un Bastard?

Sa tête violette se soulève, elle ne comprend pas ce qu’il ne comprend pas, elle pense même un instant l’avoir vexé ou autre, mais après une longue pause elle saisit enfin, il n’est pas calé au sujet des clans. Lui expliquer serait une erreur, les adultes ne sont pas mêlés à tout ça et n’ont pas à y être.

-Ce sont ceux qui tapent sans réfléchir.

Il n’y avait pas plus à détailler pour qu’il comprenne ce qu’elle avait dit avant, de plus elle sentait que ce sujet allait rapidement l’énerver, parce que le mec du réfectoire était sans aucun doute un bastard et rien qu’à cette pensée elle sentait ses poings se resserrer. C’est déconcertant l’ampleur que prend l’importance des clans peu importe qu’on soit actif dans cette histoire ou non. C’est quand même dingue, y’a un pensionnat sur terre avec une histoire louche de guerre et il faut qu’elle tombe dedans, la poisse. Takeda commande un chocolat chaud, limite la mâchoire du serveur touchait le sol, ah vraiment, elle ne sait pas ce qu’il prend d’habitude mais ça doit pas être que de la caféine ! Le serveur devait se demander s’il reconnaissait bien Takeda ou si c’était son jumeau maléfique… enfin plus angélique du coup puisqu’il prend un chocolat chaud. Cette fois-ci elle rigole et d’un ton amusé pointe du nez le serveur un peu plus loin.

-Autant vous avez pas une tête à être un habitué des bars autant à cause de lui vous êtes grillé…

Dans sa tête, qui se désembrunie petit à petit c’est le gros foutoir, pourtant elle a essayé de relativiser, mais rien qu’établir la situation actuelle la fait halluciner. Elle est attablée à un comptoir, dans un bar, jusque-là ok, mais qu’elle soit au comptoir d’un bar à discuter avec le directeur adjoint du pensionnat dont elle est élève, là ça sort de l’ordinaire, et en plus, il la console. C’est bien la dernière des dernières situations qu’elle pouvait s’imaginer vivre, pour dire elle avait l’avait même placé en dessous de « être transformé en zombie » dans le classement des situations probable. Le serveur lui donne le chocolat chaud, ça aussi c’est fou, il lui offre un chocolat chaud, le directeur adjoint, dans un bar punaise !

-Aux élèves? Tu n'en n’es pas une à mes yeux en dehors du pensionnat.

Hein ? Elle avait carrément perdue le fil de la conversation. Du coup elle se retrouve à le regarder comme un poisson en se demandant ce qu’elle avait bien put dire trois secondes avant. On lui avait toujours dit qu’elle et la concentration ça faisait deux, mais à ce point quand même… Bêtement elle lui demande :

-Je suis quoi alors ?

Et retrouvant enfin le sens de la conversation elle rajoute :

-La fille qui déprime dans un bar ? Non parce que à ce moment je préfère être l’élève.

A la limite c’est plus glorieux. Elle verse le sachet de sucre dans son chocolat et fait tourner la cuillère dedans, puis elle s’arrête, le bruit que fait la cuillère au contact de la tasse n’est pas désagréable, juste insupportable.

-C'est vraiment ce que tu penses être à plein temps? Une élève? Tu sais, ça doit être bizarre de m'entendre dire ça, mais il n'y a pas que le travail ou les études dans la vie. C'est pas parce que tu échoue là que tu échoueras partout.

Ok, elle n’est pas élève à plein temps, mais là en l’occurrence elle préfère se penser élève que pauvre ramassis d’adolescente qui s’est retrouvée dans un bar à pleurer sans même savoir où elle était. Vraiment, élève ici c’est mieux. Mais Hanae était passée à autre chose, elle était déjà passée à sa dernière phrase, celle qui l’avait le plus marquée. Autant Hanae a clairement conscience qu’elle a échoué dans le domaine scolaire, autant elle n’a pas l’impression que si elle échoue là elle réussit ailleurs, puisque ce n’est pas du tout le cas.

-Aujourd’hui j’ai pas seulement échoué en tant qu’élève, ça à la limite j’ai l’habitude, aujourd’hui j’ai aussi échoué en essayant de garder mon calme, comme une personne civilisée quoi, j’ai échoué une fois de plus en essayant de tenir une résolution, j’ai tenue à peine une matinée, et vue où je suis en ce moment même, on peut compter ça aussi comme un échec.

Deux secondes avant elle riait et maintenant elle tire la gueule, deux secondes avant elle commençait à se dire qu’elle n’était pas non plus au fond du trou et maintenant elle a l’impression de creuser. Hanae faut pas la prendre avec des pincettes, Hanae faut juste pas la prendre.

La positive attituuude ♪

-Je crois que tu es juste Hanae, une jeune fille pleine de bonne volonté.

La violette sourit et commence à boire son chocolat chaud, pleine de bonne volontééééé, elle en mourrait presque de rire. La volonté c’est bien mais jusqu’ici ça ne l’a pas mené à grand-chose. Ah ! Elle est si négative ce soir, ce n’est pas habituel, peut-être qu’elle a fait une overdose de positive attitude (vas-y maintenant t’as la musique en tête).

-Bien sûr.

C’est presque malpoli de le dire comme ça. Hanae est souvent malpolie, sa mère le lui rappelait souvent, en fait sa mère lui rappelait souvent ses défauts. C’était sûrement dans le but qu’Hanae se remette en question, apprenne de ses erreurs, mais c’est clairement l’effet inverse qui s’est produit lorsque l’on voit ce qu’est devenue Hanae à l’heure actuelle. Avant Hanae n’était qu’un petit pétard, le truc qui fait plus de bruit qu’autre chose, maintenant Hanae c’est une bombe à retardement ; et personne ne se gêne pour raccourcir la mèche.

- Et qu'avoir de la volonté c'est déjà une victoire. En plus tu te rends compte de tes erreurs c'est déjà pas si mal. Rome ne s'est pas faite en un jour, tu changeras si tu le veux, crois-moi.

Elle soupire, évidement le directeur adjoint à raison, après tout il a le vécu, l’expérience, alors oui il peut se permettre de parler comme un sage. Cela n’empêche qu’elle a du mal à se laisser convaincre, on est tête de mule ou on ne l’est pas.

-C’est pas que je veux pas vous croire…

Mais elle ne le croit pas.

-Regarde moi, d'habitude je ne suis pas très clean quand je viens ici mais ce soir j'ai pris un café. Tu l'as souligné toi même, le proprio en est étonné.

Elle pose son chocolat brusquement et le dévisage comme s’il venait de lui apprendre quelque chose de complètement fou. En fait elle se fait une trop bonne image de lui, un peu comme un modèle, du coup elle est choquée.

-Nooon, je vous crois pas !

Elle se tait quelques secondes puis explose de rire, vraiment, y’a des trucs comme ça on s’y attend pas du tout, et du coup ça surprend encore plus. Elle continue de faire « non » de la tête en reprenant sa tasse de chocolat.

-En même temps je vous aurais pas croisé dans ce bar sinon. D’ailleurs ça m’étonne qu’on se soit pas croisé pl…

…Plus tôt. Huhu, on ne doit pas dire ça.

-Hrm, oubliez ça. C’est gentil d’être venue me voir, alors que vous auriez pu m’ignorer tout simplement…

Tout simplement.

On y va

Ses yeux semblaient s’être desséchés pour un bon moment et elle pouvait sentir son cœur se calmer, perdant son rythme effréné qui le faisait bondir sans cesse. C’était reposant, reposant de boire un chocolat chaud, reposant de discuter avec quelqu’un comme Reiji. Elle était loin l’image de l’adjoint-directeur, la violette se le rappelait quelques fois histoire de ne pas faire de bourde non plus mais ce n’était déjà plus un simple membre de l’administration.

-Et pourtant. Les gens sont surprenants parfois Hanae, peut-être que toi aussi finalement, mais que tu ne t'en rends pas encore compte.

L’homme ébouriffe ses cheveux et elle lui sourit gentiment en concédant qu’il avait peut-être raison. Hanae ne comprend pas, ce sentiment d’être soutenue par un adulte, cette impression qu’il ne la laissera pas tomber, qu’elle peut compter sur lui. C’est presque paternel, c’est pour ça qu’elle ne comprend pas, paternel est inconnu. Mais peu importe qu’elle ne puisse poser un mot exact sur cette relation qu’elle sent naitre, l’important c’est qu’il est le premier homme adulte en qui elle a vraiment confiance. Plusieurs fois elle a vu que son instinct était le pire des instincts pourtant, ici, elle sent qu’il n’y aura pas de mauvaises surprises.

-J'allais clairement pas te laisser ici toute seule, ton pull t'aurais pas beaucoup défendue tu sais?

Ses mains caressent machinalement son pull en boule sur ses jambes, c’est sûr que ce n’est pas un bouclier mais ça pouvait toujours servir en guise de camouflage, c’est déjà pas mal pour un pull. Elle rit légèrement avant de répliquer.

-Je peux me défendre toute seule aussi.

Fierté incapable de se laisser engloutir, Hanae n’aime pas exposer sa faiblesse physique bien qu’elle ne soit pas incapable de se défendre, ses expériences passées la paralysent de peur. Il y a toujours cette envie de faire croire qu’on est invincible, d’essayer de convaincre chaque personnes jusqu’à se convaincre soit-même.

- Allez, tu viens? On rentre.

Il paie les consommations et se lève. Faisant de même elle enfile son pull, souriant au serveur qui dévisageait le vêtement comme une ordure posée sur du velours, elle suit Reiji. Rentrer à cette heure accompagnée du directeur adjoint dans l’établissement sera certainement plus facile que seule et sans justifications.

-Oui, c’est une bonne idée… Merci.

Pour le chocolat. Pour être venue la consoler. Pour la raccompagner. Ça serait bien de lui rendre visite régulièrement, enfin elle le fait souvent en allant dans son bureau mais ce n’est jamais vraiment de plein grès, ni même pour traiter de sujets sympathiques. Oui, la prochaine fois, ça ne sera pas avec un mot ou dans un bar entrain de pleurer. Elle repartait plus légère, il était loin le mec de la cantine et la fille au yaourt, maintenant elle comprenait que ce n’était pas grave.