Un simple objet?

Le grenier. Vous allez sans doute vous demander comment il avait pu s’y retrouver à une heure aussi tardive alors que tous les élèves étaient censés être dans leurs chambres respectives. C’était une longue histoire, en fait, ça remontait au mois dernier lorsqu’Enya avait voulu se débarrasser définitivement de sa paire de patin à glace. Un truc con l’avait poussé à venir les planquer là, dans le grenier de l’établissement, au cas où il voudrait s’en resservir un jour. Le hic, c’est que le lieu avait fini par être défini comme étant le QG des Amazons, ces nanas aigries qui ne pensaient visiblement qu’à faire la peau aux garçons. Et Enya n’était clairement pas assez stupide pour venir s’y aventurer lorsque les tigresses étaient dans leur tanière. Il avait donc choisi de se rendre là au beau milieu de la nuit, histoire de passer incognito. Il était souple, agile et doté d’une grande faculté à se déplacer sans bruit. Un véritable furtif. Il devait la grâce et la précision de ses mouvements à des années de patinages. Il avait la chance de ne pas avoir de séquelles de son accident dans sa démarche. Il ne boitait pas et rien ne pouvait présager de l’horrible cicatrice qui recouvrait sa jambe droite. L’entaille qui striait son œil gauche en revanche, elle, était bien visible. Il put le voir dans son reflet en passant devant un vieux miroir. Il y glissa d’ailleurs deux doigts, comme pour vérifier qu’il la sentait toujours. C’était stupide, il savait bien qu’elle ne disparaitrait jamais.

Une vieille horloge à la vitre fêlée indiquait à peine minuit. Un silence de mort pesait sur le pensionnat et la seule lueur de la pièce un peu vide provenait d’une vieille ampoule poussiéreuse qui pendait lamentablement du plafond à la charpente massive par quelques fils électriques. Rien à voir avec le reste du pensionnat. Cette pièce laissée à l’abandon était pourtant étrangement propre et ordonnée. Signe clair que quelqu’un y venait régulièrement. Ce n’était pas une légende, c’était réellement leur QG. S’avançant vers le fond de la pièce sans fenêtres, il ouvrit une vieille armoire qui grinça un peu. Ses patins étaient toujours là, ils n’avaient pas bougé. Pourquoi les récupérer maintenant ? Et pourquoi pas ? C’était peut-être juste une pulsion, mais au final, il ne pouvait pas se résoudre à s’en séparer. Récupérant son bien, ses iris vert bouteille balayèrent la pièce. Il s’était figé, il venait d’entendre quelque chose.

Ton territoire?

Il ne tarda pas à comprendre qu'il n'était plus seul dans ce lieu pourtant réputé pour son manque de chaleur. C'était clairement une pièce sinistre et peu de gens s'y aventuraient pour le plaisir. En plus de ça, situé juste sous la charpente, il y faisait très chaud malgré la nuit fraîche. Il faut dire que le soleil commençait à cogner ces temps ci, et l'Eté approchait à grand pas. La chaleur n'avait pas encore quittée le lieu et le jeune homme n'était pas mécontent d'avoir opté pour une simple chemise noire dont il avait même relevées les manches. Lorsque l'importune s'exprima, il esquissa un sourire mauvais. Le genre de rictus clairement moqueur.

" Je te retourne la question "

Lança t-il d'une voix masculine au timbre détestable. Il avait le don d'illustrer ses pensées à merveille en jouant à la fois de son faciès que du timbre de sa voix. Clairement hostile, il ne cachait pas son amusement pour la demande de la jeune femme. Une Amazon sans doute, quelle autre fille se serait aventurée ici à cet instant? Sans doute se pensait-elle chez elle ici. Mais aux yeux d'Enya, elle n'avait pas plus le droit que lui d'être ici. Après tout, les groupes qui s'étaient formé avec la guerre des sexes n'avait pas d'existence propre aux yeux de l'administration. Officieux, les amazons ne pouvaient officiellement rien revendiquer concernant ce lieu qu'elles s'étaient approprié sans aucun accord des gérants de l'école. Enya le savait. C'est pourquoi il se fichait pas mal de savoir que sa présence dérangeait.

" Mais puisque tu le demande, disons que je me suis moi même donné la permission "

Ajouta t-il simplement plus désinvolte que jamais en un haussement d'épaules fugace. Sa paire de patins à la main, il ne semblait pas inquiet le moins du monde. Les Amazons étaient réputées pour être violentes, mais elles étaient aussi limitées par leur corpulence. Bizarrement, la quasi totalité des nanas de ce bahu avait le physique mannequin et il était certain que leur frêle silhouette ne pouvait pas rivaliser avec celle des garçons. Un faits indéniable. Il ne les sous estimait pas pour autant, elles savaient être mesquines lorsqu'il le fallait. Mais lui n'était pas un bagarreur, c'était pour ça qu'il ne faisait pas parti des bastards. De toute façon, face à Enya, elle avait toute ses chances, il suffisait qu'elle s'en prenne à sa jambe droite et il ne pourrait rien faire du tout. C'était la principale raison du fait qu'il ne soit jamais pris en train de se battre. Il était non seulement au dessus de ça, mais il était en plus handicapé notoire, même si en fait peu de monde le savait. Et après tout, il n'avait jamais eu besoin d'en venir aux mains.

" Ca te dérange? Parce que si ça peut te rassurer, je ne fais que passer, je ne voudrais pas souiller la parfaite cabane à complots de ces dames. "

Acheva t-il alors en un rictus emprunt de la mesquinerie la plus totale. En fait ça le faisait juste marrer. Il aurait sans doute fait l'effort d'être plus sympathique si elle ne s'était pas imposé d'entrée de jeu comme maitresse des lieux. C'était pour ça qu'il avait du mal avec les femmes. Possessives, matérialistes et parfaitement futiles. Il était un peu simple à ses yeux de décréter qu'un lieu, un objet ou une personne nous appartient rien qu'en l'annonçant.