Combien de jours se sont écoulés depuis mon accident ? Je n’en sais rien. La seule chose dont je suis certaine, c’est que le vide au fond de moi prend une place considérable de jour en jour. Qui suis-je ? Où vais-je ? Quel est mon but ? Tellement de questions sur mon existence qui n’auront peut-être jamais de réponses. Je laisse échapper un long soupire avant d’installer une clope entre mes lèvres. Allongée dans l’herbe, je ne tarde à allumer ma dose de nicotine, recrachant la fumée en direction du ciel. Mes yeux se perdent dans cette étendue parsemée de nuages, il va sûrement pleuvoir, je ne devrais pas trop tarder. En tournant mon regard vers ma droite, j’aperçois deux filles en train de se battre, sûrement une Amazon avec une autre fille. Je faisais partie des Amazons il parait, peut-être que c’est à la base de cette racine que je me retrouverai.

Montant les marches unes à unes, je me dis que ce n’était pas une très bonne idée de venir fouiner de ce côté du bâtiment. Si je tombe sur une de ces filles, que se passera-t-il ? Il me suffira de justifier ma venue avec un « salut ! Je sais plus qui je suis alors je me suis dit que je trouverai des réponses ici ! » . Pourquoi j’ai l’impression qu’elles vont m’exploser la gueule avec une telle réplique ? Arrivée devant l’entrée, je souffle un bon coup avant de rentrer. Enfin, rentrer est un grand mot, disons simplement que le bout de mon nez à dépasser le seuil de la porte, observant de droite à gauche le moindre mouvement. Rien, personne. C’est bien trop calme ici, je n’aime pas trop ça. Je ravale ma salive, avançant lentement dans la pièce. J’observe chaque recoin de la pièce, tous les objets et les meubles présents, mais rien, rien ne me revient en tête.

-Pourquoi mes souvenirs ne reviennent pas…

Le vide présent en moi ne sera-t-il jamais comblé ? J’ai mal, là, tout au fond de moi. Je ne veux plus de cette douleur, je ne veux plus de ce manque continuel, de ce vide gagnant en grandeur chaque jour. Je veux retrouver ma mémoire, retrouver la joie de vivre, retrouver tout simplement la vie. Et pourtant, une part de moi est terrorisée à l’idée de savoir qui je suis. Et si je n’étais qu’une mauvaise personne ? Et si la personne que je voyais dans mes cauchemars n’était nul autre que moi ? Non, c’est impossible, je ne peux pas faire de mal à mes camarades, pas sans raison. Pourquoi sourirai-je à l’idée de cogner les gens ? Non, ça ne peut pas être moi, c’est seulement un cauchemar, rien d’autre. Ma tête me fait mal, je dois me calmer, arrêter de penser, de trop penser. Me tenant contre un des murs, je ferme les yeux, inspirant et expirant de l’air calmement jusqu’à entendre des pas se rapprocher de plus en plus près du grenier. OMG je vais me faire défoncer ! Vite vite vite, il faut que je trouve une fucking cachette avant de perdre la tête au sens propre ! Je prends celle la plus proche de moi : un carton. Ouai, un carton assez grand pour accueillir toute ma silhouette et préserver ma tête en plus de ça. Je reste dedans, sans un bruit attendant de ne plus rien entendre.

Mes yeux se ferment, mes oreilles se concentrent sur les bruits environnants. J’entends des pas lents approcher de plus de en plus près du carton. Je vais me faire griller, j’en suis sûre, mais je ne bouge pas. A quoi ça servirait de toute manière ? A travers mes paupières j’aperçois de la lumière, ma cachette est dévoilée, je ne dis rien, terrée en mode cailloux dans mon carton.

-Hé.

Un mot me suffit à lever à la tête en direction de l’individu. Je cligne des yeux plusieurs fois pour m’habituer à la clarté. Je découvre alors une fille, assez mince avec des seins…WAW ! Mais à quoi je pense, c’est n’importe quoi ! Sa couleur de cheveux est originale et un style bien particulier, j’aime bien. Oui c’est ça Alix, change de sujet.

-J'te savais pas adepte du jeu de cache-cache

Mes yeux sont plongés dans les siens. Elle a l’air de me connaitre mais aucune émotion n’émane de sa voix. La neutralité, tu connais cette expression trop bien, Alix. Je me lève enfin de ma superbe cachette, l’enjambant et reposant pieds au sol. Reportant mon regard dans celui de l’inconnu je finis par balancer calmement.

-Cache-cache ? Je devais sûrement y jouer étant petite…enfin je suppose.

J’esquisse un léger sourire qui ne signifie strictement rien. Dans les bouquins que je lis, les gens sourient très souvent lorsqu’ils parlent à quelqu’un. Pourquoi ne pas essayer ? Tes yeux ne sont pas en accord avec ton sourire, ils sont vides, tellement vide Alix. Si cette fille me connait vraiment, pourquoi pas lui demander de me parler un peu de moi ? Si elle est ici, c’est qu’elle fait des Amazons et ses cheveux reflètent parfaitement leur couleur. Elle doit pouvoir m’en apprendre un peu plus sur moi-même, non ? Non, mes problèmes ne concernent en aucun cas les autres, je dois retrouver mes souvenirs seule. Ne cherche pas d’excuses Alix, tu as simplement peur de savoir qui tu es. Au fond, tu n’es qu’une froussarde depuis ton accident et te cacher derrière un mur de glace ne t’aideras en rien. Seule…oui, je suis mieux comme ça… Mon sourire s’efface et laisse place à cette voix si glaciale.

-Je ne te connais pas. T’as dû te tromper de personne.

Je la fixe longuement de mon air froid, priant pour qu’elle s’en aille sans sortir les poings. Pourquoi ne suis-je pas sortie directement du grenier ? Pour la simple et bonne raison que tourner le dos à une Amazons n’est pas recommandé.

Elle m’observe de son regard ambre, longuement, trop longuement. Que cherche-t-elle à découvrir en me regardant ainsi ?

-Tu te moques de moi ?

Me moquer d’elle ? Qu’est-ce qu’elle raconte ? Je ne sais pas qui elle est alors pourquoi me moquerai-je d’elle ? Je ne comprends pas sa question, je n’y réponds pas, je me contente de la fixer sans vraiment cerner le personnage.

-Ah, j’ai changé de look. C’est Dixie. On s’est pas vues depuis un moment, j’étais… occupée, disons. Mais mon visage est quand même toujours pareil. T’aurais pas besoin de lunettes ?

Besoin de lunettes ? Je vois parfaitement. Ce n’est pas plutôt elle qui se moque de moi à présent ? Et puis elle a beau me parler de son look, je ne me rappelle de rien. Ni de son visage, ni de sa voix, ni des habits qu’elle portait autrefois. Mon regard, aussi vide que les banques grecques, reste plongé dans celui de cette étrangère.

-Quel est ton nom ?

A quoi joue-t-elle exactement ? Me connait-elle vraiment ? Pourtant sa première réplique prouvait qu’on s’était déjà croisées dans le passé… Se pose-t-elle des questions sur moi car mes réactions ne sont pas les mêmes qu’autrefois ? J’en ai marre de toutes ces interrogations. Devrais-je retenter un sourire pour lui répondre ? Non, ça ne sert à rien, je manque d’entrainement là-dessus. Je réponds simplement d’une neutralité totale.

-Alix.

Pourquoi me dévisage-t-elle ainsi ? Je ne comprends pas cette fille mais c’est sûrement normal. Avant de comprendre les autres, il faudrait se comprendre soi-même. Cette Amazons se trouvait en face d’un fantôme après tout. Un fantôme… Un manque continuel présent en moi… Vais-je vivre éternellement comme ça ? Non, je…je…

-Tu me connais, je me trompe ?

Je prends une courte pause, hésitant un moment, je prends mon courage à deux mains, reprenant sur un ton toujours autant remplie d’émotion. Grosse blague.

-Comment me vois-tu ? Qu’est-ce que tu penses de moi ? Ou devrais-je dire, qu’est-ce que tu pensais de moi ?

Depuis mon retour à Sei, c’est la première fois que j’ose poser une question de ce type à quelqu’un. Ma gorge se sert, est-ce de la peur ? Qu’allais-je apprendre sur moi ? Comment les autres me voyaient ? Suis-je vraiment sûre de vouloir le savoir ? La question était posée, je ne peux faire machine arrière.