” no pressure

Cette soirée était naze. C’est toujours comme ça les week-ends de fêtes. La première est super, la deuxième, répétitive. Du coup, sur ordre d’une certaine reine, il valait mieux me ressourcer seule dans mon coin. C’est qu’elle me connaît bien et sait d’autant plus combien les grosses soirées finissent par me coller une humeur de chien -un comble pour un chat réincarné. Autre souci, c’est que j’apprécie la solitude uniquement quand je me retrouve avec en tête-à-tête avec une cigarette ou un pavé littéraire. Pour plus, c’est pas réaliste. Donc exilée oui, mais dans un lieu public, là où il y a du monde à observer de temps à autre. Et comme il faut aussi savoir combattre le mal par le mal, le whisky serait de la partie.

Mais c’est que ce n’est pas facile de trouver de quoi satisfaire mes exigences, surtout quand on a voyagé en Europe comme moi. L’ambiance d’un pub au Japon ? Même si notre chère Otaru est touristique, on peut rêver un peu. Par rapport à la plupart des élèves enfermés dans ce pensionnat, j’ai eu la chance de connaître la jeunesse londonienne déjantée et c’est parfois la seule chose que je regrette de là-bas. Les fausses cartes d’identité, l’alcool de caractère, le bon son… Me voilà donc quand même posée dans un bar du coin, fesses sur la chaise, jambes étendues sur la table, boots croisées sur le rebord. La bouteille de whisky est à peine entamée, j’suis bien trop distraite par l’ouvrage ouvert sur mes cuisses.

Ouais okay, j’dois avoir l’air d’un extraterrestre à feuilleter des pages noircies par un certain Shakespeare, mais que voulez-vous les histoires de tempête vengeresse me plaisent et sont plutôt d’actualité ces temps-ci. Ça m’inspire. Machinalement, ma main vient caresser mon cou là où Kimi y avait laissé une trace aujourd’hui disparu. En réalisant mon geste, ma mâchoire se serre à nouveau et ma main atterrit rapidement sur la bouteille pour me verser un nouveau verre à boire cul-sec. Clac. Le verre vide vient frapper le bois de la table. Okay, j’suis ronchon, ça y est. Allez, allez, focus on the book. Sinon tu vas aller faire une connerie. Faut s’détendre ce soir. No pressure. Je souffle en soupirant. Respire. J’allais me replonger le nez dans le bouquin quand une chevelure argenté traversa mon champ de vision périphérique. Une dégaine que je reconnus tout de suite -faussement gangster. Je retiens un rire dans le fond de ma gorge en le voyant direct approcher une nana au comptoir. J’entends pas bien de là où je suis mais putain c’est une vraie pie. Qu’est-ce qu’il peut bien lui raconter ?

Ce regain d’intérêt me fait sourire, tirer le bout de ma langue avec malice -toujours cette vilaine curiosité. Mais pour le coup, mes soucis s’envolent. Comme souvent grâce à ce mec. On parle de tout sauf dans la guerre de Sei et ça change. Attention, je ne dis pas qu’on ne s’engueule pas -c’est de moi qu’il s’agit après tout. Mais nous avons des débats hautement divergents qui en surprendraient plus d’un. J’ai donc décidé de m’imposer à lui ce soir, mais d’abord… Laissons traîner nos oreilles pour voir comment il s’en sort. Hop, hop, hop, je me faufile à travers l’océan de corps pour venir à quelques gens du dragueur de sortie.

…

Huhuhu…
La fille accostée s’éloigne déjà et moi je m’approche en sneaky -main sur son épaule, je m’appuie en m’étalant à moitié sur son dos, index dressé pour lui poker la joue.

- Hey Wolfy~ T’as toujours pas dégainé le bon jeu pour choper d’la femelle on dirait… Tss tss... Ma voix souriante et enjôleuse a taquiné son oreille. Je me laisse basculer sur le tabouret haut et libre à côté. Allez j’suis charitable ce soir, j’te paye le premier verre. Mais le deuxième est pour moi ainsi que pour... Oeillade dans son dos. La fausse rouquine là-bas. Clin d’oeil et sourire beaucoup trop angélique. Non ? Pas à ton goût ?

Qu’ils sont compliqués les mecs !

La bouteille de whisky échoue vivement sur le zinc entre nous. Qui aurait cru que quelqu’un d’ici aurait les mêmes goûts que moi en matière de booze ? Nan parce que les sex’ on the beach et tequila sunrise, c’est bien un truc de p’tites joueuses. L’alcool devrait se suffire à lui-même. Pur. Tout comme la musique. D’ailleurs, il paraît que les musiciens ne prennent pas leur retraite, ils s’arrêtent quand il n’y a plus de musique en eux. Et moi, même si je ne joue de rien ce soir, j’suis sûre que j'peux tenir le rythme. Et toi, Wolfy ?

#darkgoldenrod ©Gau