A ce que c’est long un déménagement…

La veille de son 5ème jour d’observation au pensionnat Sei, Shinya était encore entrain de déballer ses cartons jusqu’à à peu près 3h du matin. Il en avait eu du courage cette nuit-là mais grâce à ce travail acharné si l’on peut dire, il avait réussit à finir de tout installer. Car oui, avec tous ses livres, ses vêtements et autres, il trouvait vraiment ce déménagement très long… En effet, il y avait de quoi. Bref, il ne lui restait qu’à effectuer quelques travaux de décoration à l’intérieur de son appartement. Le jeune homme épuisé partit se coucher directement sans se changer. C’est limite s’il n’allait pas dormir par terre. Le lendemain, il se réveilla par ailleurs vers 10h, se disant qu’il allait être en retard pour son rendez-vous. En effet, il devait avoir rendez-vous avec un élève vers 11h, autant dire, que pour lui, il était déjà en retard. Le jeune psychologue se leva alors rapidement, même s’il était encore fatigué puis se grilla une première cigarette en allant préparer son petit déjeuner.

Shinya termina sa cigarette, mangeant un repas typiquement japonais composé comme toujours de riz, soupe miso et de temps à autre du poisson grillé. Il prit une bonne demi-heure déjà pour petit déjeuner, sans vraiment s’en rendre compte et soupira voyant qu’il lui restait plus que 30min pour se doucher, se préparer et se rendre au pensionnat pour son rendez-vous. Le truc presque impossible pour notre jeune psychologue qui aime malheureusement prendre son temps ; un vrai fainéant. Une fois son petit déj fini, il laissa tout dans l’évier, se disant qu’il ferait la vaisselle quand il rentrerait puis partit prendre sa douche, dont il ne put pas rester longtemps. S’habilla comme à peu près toujours d’un jean noir, d’une chemise blanche et cette fois-ci, ayant rangé ses affaires, il n’avait pas eu de mal à retrouver sa cravate noire. Malgré qu’il soit speedé ce matin, ce fut la seule chose qui le mit de meilleure humeur.

Il regarda de nouveau l’heure : 10h50… Shinya ne prit pas la peine de se coiffer, les cheveux donc en pétard, prit ses affaires et se dépêcha d’aller à sa voiture puis démarra un peu en trombe. Il arriva environ 20min plus tard au pensionnat, en plus le temps de trouver une place sur le parking des professeurs. Se mit à sprinter même pour se rendre au pensionnat puis essaya de reprendre un rythme normal, maudissant d’être en retard car il n’avait pas pu se fumer une autre cigarette. Il se rendit au 1er étage afin de se rendre dans une salle quelconque pour son rendez-vous. En fait, hier, il avait eu sur son planning la salle en question (j’invente) : la S08, une salle vraiment quelconque. Une fois arrivé là-bas, il vit un jeune homme aux cheveux blonds. Ca devait sûrement être le garçon de son rendez-vous. Shinya le regardait puis ouvrit la porte de la salle de classe en même temps.

« Je m’excuse d’être en retard, j’avoue que ça ne le fait pas trop pour un premier rendez-vous. Entre donc. »

Une fois que le jeune fut sûr que son premier élève fut rentré, il ferma la porte derrière eux et posa ses affaires le temps d’installer une chaise à côté du bureau. Il reprit son sac puis le posa sur le bureau et regarda le jeune élève, lui disant de se mettre à l’aise, pendant qu’il sortait le dossier scolaire de l’élève en question : Ezechiel Harsen Boyle.

« Donc Ezechiel, c’est bien ça ? Enchanté, je suis Shinya Haikuri mais tu peux tout simplement m’appeler Shinya. Alors que puis-je pour toi ? »

Shinya adoptait un comportement assez différent des autres psychologues qu’il avait côtoyé. Il entendait toujours les autres, dire « Regardons un peu ton cas » ou encore des « Hum il va nous falloir de grands efforts pour te faire changer ». Ce genre de choses qu’il trouvait complètement débile. Le jeune homme voulait que l’élève lui-même expose son besoin de parler d’un problème sans qu’il n’ait besoin de le trouver tout seul. C’était sa manière de procéder. En attendant une réponse de son interlocuteur, il prit un carnet avec un stylo ; en tant que psychologue, il devait noter tout un tas de choses afin de l’aider au mieux.

Comme si j' allais appeler un adulte par son prénom... Or cela je me garde bien de lui dire. Une question franchit immédiatement vos lèvres: qu es ce que je fous là? Comme pour les Orange, j' ai encore pris une décision sur une sorte de coup de tête. Un psychologue en général est une personne avec laquelle avoir une discussion construite et intéressante se fait sans trop de difficultés. Possible que le manque de stimulation intellectuelle de ces derniers jours m' ai conduit vers le bureau du principal concerné. Sinon, quelque chose en moi estime t il mon état actuel si grave qu' il faille appeler un professionnel des souffrances de l' âme? Haikuri Sensei, un travail de longue halène vous attend alors, j' espère que vous n' en tiendrez pas rigueur. Je souris, poli, avant de me saisir d' un stylo que j' examine avec le plus grand soin. Sa forme inhabituelle m' intrigue, donnant lieu à une inspection plus poussée; oui j' assume totalement de ressembler à un autiste, les autres ne se privent pas pour me dire que mon attitude rejoint la leur par moments. Qu pouvez vous faire pour moi? Vous aimez les défis? Que pensez vous de celui là: remettre de l' ordre dans mon esprit, reconstruire ma psyché dont les morceaux balayés aux quatre vents ne viendront pas à vous en utilisant un sifflet pareil à ceux des maîtres chiens: vous en sentez vous capable? Si oui, votre courage vous honore, dans le cas contraire, vous n' en restez pas moins estimable car je ne serai pas un patient des plus coopératifs.

Je repose l' objet à sa place, puis j' entame des ronds imaginaires sans regarder ma main.
- Je ne suis là que pour une raison Haikuri Sensei: je m' ennuie. Avant de me regarder comme si je vous annonçais que la terre est finalement plate laissez moi vous expliquer. Voyez vous à force d' avoir épuisé tout les ouvrages que comptent la bibliothèque, fini tout mes devoirs, je n' ai plus personne pour avoir une discussion intellectuellement enrichissante. En tant que thérapeute, je me suis dit que vous aurions sûrement un échange en mesure de combler mes attentes. Quoi que vous ne devez pas avoir l' habitude de ce genre de démarche. Je m' égare? Ai je conclu lissant le bas de mon vêtement supérieur chassant ainsi la poussière venue se loger sur la poche centrale.Mes yeux parcourent les étagères, je retrouve certaines de mes lectures parmi les siennes, ce qui m' arrache un bref sourire d' amusement. Des livres qui ont servi lors de ses études visiblement, je poursuis la visite oculaire en silence. Pas de photo de famille avec femme et enfant. Première hypothèse: analyste diplômé depuis peu... Et le pauvre finit parachuté à Sei... Pauvre homme, je le plains bien sincèrement. Quand à la décoration du cabinet, minimaliste; d'accord le local appartient à l' établissement or là cette absence de touche personnelle aurait presque de quoi mettre mal à l' aise. Sait il la vérité sur cette école au premier niveau si "ordinaire?" Oui...Non? Si la réponse est négative, je n' ai aucune envie de l' en instruire moi même, d' ailleurs: pourquoi je reste ici moi?

Je ne compte rien dire de plus que ce que je viens de lui apprendre, libre à vous Sensei d' ouvrir le dialogue, je choisirai en fonction des propos que vous tiendrez dans les minutes à suivre. Je hante Sei depuis bientôt cinq mois, déçu de n' y constater aucune évolution, je m' y sens seul, pas intégré... Surtout au sein des Orange dont les idées ne s'accordent pas aux miennes, elles entrent en totale contradiction avec leurs valeurs... Pfff! Sans parler de leur rang socio-économique... Je me baisse pour reformer la boucle de mon lacet, lequel traîne au sol. Au moment de relever la tête je fixe le mur réalisant que mon existence se résume en quatre couleurs dont le symbolisme révèle beaucoup. Blanc, Noir, Gris, Rouge. Je suis un dégradé de ces éléments chromatiques... Il faut en sortant de cette pièce que je trouve un moment pour dormir, mon esprit commence à créer des éléments qui n' existent pas, la réalité prend une forme qui n' est pas celle qu' elle aborde normalement... J' ai toujours su identifier quand mon esprit perd sa lucidité et ça ne tardera plus. Mes yeux deviennent plus clairs quand cela se produit, il faut un sens de l'observation poussé pour réussir à en capter la nuance subtile ou une bonne vue.

- Je ne suis là que pour une raison Haikuri Sensei : je m'ennuie. Avant de me regarder comme si je vous annonçais que la terre est finalement plate laissez-moi-vous expliquer. Voyez vous à force d’avoir épuisé tout les ouvrages que comptent la bibliothèque, fini tout mes devoirs, je n' ai plus personne pour avoir une discussion intellectuellement enrichissante. En tant que thérapeute, je me suis dit que vous aurions sûrement un échange en mesure de combler mes attentes. Quoi que vous ne devez pas avoir l’habitude de ce genre de démarche. Je m’égare?

Shinya écoutait avec attention ce que pouvait lui dire le jeune Ezechiel. Arquant un sourcil, bien sûr qu’il fut surpris de cette démarche mais cela ne sembla pas trop le perturber. Peut-être juste sa manière de parler mais se dit juste qu’il essaierait de l’aider au mieux, s’il voulait une discussion intellectuellement enrichissante. Malgré son statut de psychologue ou thérapeute, il s’employait à ne pas trop utiliser des mots ou des phrases compliquées. Le jeune homme regardait son patient, enfin l’élève devant lui et après avoir noté quelques petites choses, relevant son attention sur lui.

« En effet, je n’ai pas l’habitude de ce genre de démarche mais il n’y a pas de problème. Je ne pense pas que tu t’égares simplement parce que tu es venu me parler. »

Il marqua une courte pause avant de passer une main dans ses cheveux puis reprit ensuite la parole à l’adresse d’Ezechiel.

« L’ennui… un sentiment bien fort n’est-ce pas… J’ai envie de te dire, je comprends ton ennui. La recherche de quelque chose à faire après avoir fini de justement faire ce que l’on avait à faire est bien une chose compliquée à réaliser car quoi qu’il arrive, on retombe toujours dans un état où on recherche en quelque sorte. En tout cas, je t’admire pour avoir lu tous les ouvrages de la bibliothèque. Il en faut la motivation… Bon, je doute que j’arriverais à combler une bonne discussion enrichissante car malgré mon boulot, je suis une personne assez simple. »

Shinya voulait démarrer une conversation mais lui-même ayant assez de mal à dialoguer assez haut dans la société, pour lui faire une discussion enrichissante était assez compliquée. Il n’était pas tous ces psys qui parlaient comme des petits bourgeois et qui arrivaient à faire du blabla pendant des heures et des heures. Ce dernier posa ensuite son stylo à côté de son cahier qu’il avait refermé. Il essayait en quelque sorte de trouver ses mots pour répondre au mieux aux attentes du jeune garçon, en manque de discussion intellectuellement intéressante et surtout enrichissante. Shinya hésitait à parler de son métier, peut-être cela l’intéresserait-il, peut-être pas. Il ne savait pas trop du coup et se demandait quel sujet aborder. Puis une question lui survint enfin.

« Mais dis moi un peu, tu ne parles ou tu ne t’entends pas avec les autres de ton âge ? Depuis que je suis arrivé ici, c’est un petit peu la pagaille pour moi à vrai dire… alors je m’excuse d’avance si je risque d’être un peu perdu. Ce n’est tout bonnement pas facile de s’adapter en à peine deux semaines. »

Un semblant de rire léger apparu sur ses lèvres. Shinya n’était vraiment pas doué pour le relationnel alors on se demande bien pourquoi il avait choisi ce métier plutôt qu’un autre.

De la persévérance? Non de l' intérêt dirais je, mais il faut reconnaître que pour une personne de mon âge cette conduite détonne un peu avec celle de ma génération sensée ne plus aimer lire... Ne plus être bonne à rien d' ailleurs... Affligeant. Quitte à parler de ras le bol, eh bien je pourrais m' exprimer assez longtemps sur celui des jeunes: assez de voir les soit disants "sénior" profiter honteusement du respect que leur âge exige.. Et après ils pointent la jeunesse du doigt? Laissez moi rire! Si vous saviez le nombre de plus de 25 ans, donc plus des "jeunes" avoir une conduite détestable, je parle dans sa globalité sans différences ethniques. Enfin, tout pour dire qu'ils me font tous bien rire! En regardant par la fenêtre je réalise combien je me sens affligé; un brouillard de peine que rien ne dispersera jamais prend place en moi. Revoilà ce sentiment que je connais si bien, ce vague à l' âme... Non plus que ça, je n' ai jamais compris les raisons de cet état si particulier, tellement détestable, sans la moindre présence j' aurai laissé s' échapper quelques larmes, or ici je n' y parviens pas, par orgueil, par calcul. Je n'ai jamais été quelqu'un de spontané, depuis si longtemps je joue une sordide partie d' échec avec Norma, qui tombera le premier? J' avance mes pions d' une main que je veux sûre, que j' espère déterminée. En mettant assez de conviction parviendrais je à gagner enfin la chose à laquelle j' aspire que plus que tout au monde: ma liberté.

Vous ne comprenez pas? Rien d' étonnant le concept n' est pas accessible à tous, non en raison de sa complexité, juste que sans avoir ressenti au moins une fois cela vous resterez hermétique malgré des explications, des exemples, rien n' y fera. Liberté Psychique ou Morale. Depuis le jour où elle a jeté son dévolu sur moi, j' ai perdu la quiétude, l' insouciance... Je ne saurai détailler cela, les mots pour définir un tel ressenti n' existent sans doute pas encore, tant mieux ou tant pis? A vous de trancher. Perdu dans mon Monde je n' entends plus, j' ai cessé de voir... Les rivages si familiers se découpent dans la brume, le Naufragé revient sur cette île si Haïe, si Aimée... Pourquoi l' amour se voit si souvent rapproché de la haine? Salon pas en raison de sa force, son intensité: parce qu'il éprouver les deux ensembles fait partie des cas qui existent... Le plus merveilleux côtoie régulièrement le plus atroce, la dualité du monde me fascinera toujours... Ce double sentiment doit être à l' origine de nombreuses plongées dans les Limbes, pourquoi les gens perdent ils l' esprit du jour au lendemain? Il s' agit là d' une piste de réflexion. Pour le cas de la personne qui vous intéresse, non ne vous vous fourvoyez pas, je ne parviens plus à éprouver une once de bienveillance à son encontre, malgré tout mes efforts pour pardonner, oublier, modeler ces années de sorte qu' elles se fondent dans le paysage de ma composante personnelle... Échec, Failure... Pour que je vive il faut qu' elle disparaisse ou qu' elle ne revienne jamais... m' embarquer sur des rivages aussi tumultueux ramène à la surface un sincère besoin de mutilation... A présent cela revient à donner un nom, une forme une couleur à ce qui m' agite, voilà pourquoi j' ai sombré à ce point...

Sei Gakuen n' est pas en cause, je ne fais pas d' illusions, rien en ces six mois n' a provoqué des dégâts justifiant ce nouveau besoin... Il semblerait que je me dégrade davantage, ni plus, ni moins... La savoir loin mais capable de revenir me tue de l' intérieur: que brisera t elle lors de notre prochaine rencontre? Elle trouvera forcément, il reste des endroits intacts, des espaces sauvegardés dont elle tenait pas compte pour le moment... Et alors: elle s' déchaînera, couteaux, ciseaux, chaque élément à sa portée devient une arme potentielle... J' ai perdu l' habitude, je ne tiendrais vraisemblablement pas... Ironique non, je me saigne intérieurement dans un cabinet de psychologue, là où l' âme doit trouver un asile, un sanctuaire qui bannit théoriquement la douleur.. Faut que j' arrête moi, j' y trouve du plaisir, je vais sérieusement finir par me poser la question... D' un coté logique, je ne ressens presque plus la douleur physique, donc j' en cherche une autre capable de l' égaler, voire de la dépasser. A croire que je me déteste..