Maya avait les yeux rivés sur son carnet, le critérium en main, lorsque la fin des cours fut annoncée. La sonnerie retentit, les élèves s'agitèrent et Maya, déléguée de classe, se leva. De sa voix portante, elle ordonna aux élèves de se lever et de saluer le professeur. Puis, elle se rassit et commença à ranger ses affaires.

PROFESSEUR ▬  Daiketsu-san et Ayuzawa-san, je vous prie de bien vouloir approcher.

Elle releva la tête instantanément à l'entente de son prénom, les sourcils hauts sur son front tatoué. Elle détourna le regard, soupira, et jura entre ses dents avant de se relever et de se diriger vers le bureau du professeur, lentement. A côté d'elle, quelqu'un la dépassa et arriva avant elle. Daiketsu-san, pensa-t-elle, et elle lui sourit lorsque leurs regards se croisèrent.
De ce qu'elle en savait, Daiketsu Ichimada faisait partie des Pacifists, et ses sources étaient plutôt sûres. Elle l'appréciait. Lui, au moins, ne se fourvoyait pas.

Le professeur leur remit à chacun une pile de feuilles de présence et leur demanda d'aller les déposer en salle des professeurs. Avec un sourire poli et une courbette traditionnelle de la tête elle acquiesça et s'en retourna à son bureau.
Elle y déposa les feuilles noircies et termina de ranger ses affaires. Ceci étant fait, elle récupéra sa charge et se dirigea vers la porte du fond de la classe. Elle attendit son camarade, silencieusement. Elle pouvait entendre les rires sales de ses camarades de classe, qui sortirent par la porte à côté d'elle, et elle préféra se perdre dans la lumière orange du ciel que de les écouter piailler.

Les fenêtres étaient tournées côté Ouest, et la lumière transcendante du Soleil illuminait la salle désormais presque vide. Le professeur était déjà absent de la classe lorsqu'Ichimada Daiketsu se présenta à elle. Ils sortirent.

ICHIMADA ▬  Désolé pour l'attente. Je n'avais pas encore fini de ranger mes affaires.

Elle lui tendit un regard étonné, et secoua la tête.

MAYA ▬  Hn, ça ne fait rien, souffla-t-elle.

Elle ne connaissait pas si bien Ichimada Daiketsu. Et elle ne savait que dire, dans le silence qui les encadrait, tandis qu'ils se dirigeaient vers les salles du personnel. Elle était plutôt du genre bavarde, d'habitude, mais le fait de ne savoir quoi dire à quelqu'un dont elle connaissait seulement le nom et le groupe ne lui permettait aucunement de commencer à discuter. Et pourtant, elle ne le détestait pas.

Soudain, elle se sentit observée, et elle tourna une tête curieuse vers lui. Ah. Son front. Un petit rire sortit de sa gorge.

MAYA ▬  Étrange, n'est-ce pas, Daiketsu-san ? rit-elle tandis qu'elle touchait du pouce le losange qui ornait fièrement son front. Ce n'est pas tous les jours que l'on peut voir ça, je te l'accorde.

Mais Maya adorait ce tatouage. Il n'avait cicatrisé il n'y avait que très peu de temps, et désormais, elle était ravie de pouvoir l'arborer. Il symbolisait tant pour elle, que le regard des autres ne la touchaient même plus.

ICHIMADA ▬ Hum, ça fait un moment que j'y pense, l'entendit-elle dire, mais on est dans la même classe et pourtant je ne me souviens pas de ton prénom, pourrais-tu me le rappeler s'il-te-plaît ?

Les yeux qu'elle fit traduire son amusement. Et bien, quelle politesse, se dit-elle.

MAYA ▬  Je suis Ayuzawa Maya, Daiketsu-san. Et tu es Ichimada, c'est bien cela ?

Ses yeux restèrent posés sur lui quelques secondes, puis elle regarda le couloir devant elle.

MAYA ▬  Tu es un Pacifist, n'est-ce pas ? J't'aime bien, termina-t-elle sur une note joyeuse.

Le soleil les aveuglait de sa lumière alors qu'ils descendaient encore, lentement mais sûrement, le couloir qui les menaient vers la salle des professeurs, lieu de destination des deux derniers années. Leurs pas étaient silencieux, et l'espèce de gravité qui leur tournait autour étouffait la jeune Amazon. Elle avait beau être pleine de bonté, et de gentillesse, elle n'en restait pas moins ce qu'elle était secrètement.

Maya, depuis déjà deux ans, avait rejoins les bancs des Vertes. Un physique plutôt coquet et un soin à ses vêtements l'auraient plutôt fait penché du côté des Mermaids, selon les avis extérieurs, mais elle, elle savait qu'elle était tout autre. Présentement Duchesse de ses petites sœurs Amazon, Maya avait développé des habilités personnelles. Comme sa Reine, elle possédait quelques facultés que leurs rangs leur permettait, et malgré son extrême pureté, elle avait ses propres secrets et sournoiseries en réserve.

MAYA ▬  J'ai mes sources.

Elle mit un doigt devant ses lèvres, un clin d’œil rieur adressé à son camarade. Elle sourit avec amusement à la fin de sa réponse et porta son index et son pouce à son menton qu'elle pinça.
Il avait un point. Maya faisait aveuglément confiance en n'importe qui. N'importe qui dont elle savait seulement qu'il ne lui ferait aucun mal. Elle avait déjà dans son viseur les personnes indésirables quant à sa fréquentation. Les Bastards, les Aristocrats, quelques Mermaids, et un peu de Hecklers possédaient déjà leurs nom, prénoms, classe et lieu de résidence si ce n'était pas à Sei dans son calepin mental.

MAYA ▬  T'en fais pas, je vais pas te manger. J'suis pas méchante pour un sou, si c'est ça qui t'inquiète.

Elle ramena sa main sous la pile de feuilles qui commençait à vaciller sur sa main gauche et malhabile de naissance. Elle redressa le paquet et inspira, tandis qu'elle l'entendait soupirer.
Parfois, et malgré les sourires avenants qu'elle adressait à son entourage -faux ou non, selon les personnes-, elle sentait comme un mal-être chez eux. Et cela lui hérissait le poil. Elle n'appréciait guère le fait de sentir l'ambiance presque malsaine du malaise ambiant, et elle aurait voulu l'effacer de sa main, d'un coup sec et bref, implacable.

MAYA ▬  Hn, hn, souffla-t-elle. t'en fais pas, j'ai aussi des livres à aller chercher de toute manière. La lecture, c'est le bien, finit-elle en hochant la tête, un petit sourire aux lèvres.


Ils arrivèrent devant la salle, et elle frappa en première avant d'ouvrir. Ils entrèrent, remirent les documents simplement avant de saluer leurs supérieurs et ressortir, droits comme des 'i' et silencieux. Ils marchèrent plus vite sur le chemin les menant à nouveau à la salle de classe.

MAYA ▬  Excuse-moi si je suis indiscrète, Daiketsu-san, mais quel genre de livre lis-tu ? Je suis un peu curieuse, et un vrai rat de bibliothèque.

Ils atteignirent rapidement la salle de classe, et elle dut se cacher le visage de la main pour pouvoir voir la silhouette noires des tables et s'y avancer. Elle alla récupérer ses affaires déjà emballée, et lorsqu'elle se retourna pour voir si Ichimada Daiketsu allait lui répondre, la lumière éblouissante de l'Astre Solaire éclaira la surface lisse et propre d'un objet. Ses yeux se firent ronds, et elle s'exclama en pointant l'objet du doigt.

MAYA ▬  Hey, mais c'est le livre que je suis sur le point d'aller emprunter !

Lorsqu'elle était entrée à Sei, plusieurs années auparavant, Maya n'avait pas, réellement, tout de suite commencé à fréquenter beaucoup de personnes. Mis à part Ran, avec qui elle avait partagé depuis lors sa chambre, et était devenue très amie, rapidement, elle n'avait pas vraiment cherché à s'ouvrir comme elle le faisait en ces jours. Alors, naturellement, mais cela ne l'avait pas dérangé plus que cela, Maya avait passé beaucoup de temps avec elle-même. Elle-même, et la solitude. Elle avait fait son deuil, petit à petit. Accompagnée de livres, tous aussi différents les uns que les autres, elle les avait dévorés, et elle avait pu de ce fait s'échapper de la tortueuse vie qui s'offrait alors à elle. À cette époque, la blessure encore ouverte n'avait pas encore cicatrisé. Lire avait été son seul échappatoire.

Pourtant, dès lors que son regard avait croisé celui de Ran, de Keel, de Kiyosawa, ou encore celui de Hayden et Lilith, le temps avait manqué à la lecture et les points de sutures s'étaient installés d'eux-mêmes, les pages remplies d'histoire ne faisant plus vraiment effet sur son cœur. Les histoires qu'elle avait lu, elle avait pu les vivre en compagnie des Vertes, de son premier amour, et des amis chers qui s'étaient accrochés à son cœur. Elle avait levé la tête, ouvert les yeux, et prit l'inspiration qui avait redonné souffle à sa vie. Sa nouvelle vie.

Elle n'avait plus vraiment le temps de lire, désormais, mais chaque fois que ses horaires, son envie et son humeur le lui permettaient, elle ne refusait pas une bonne histoire. Elle aimait bien recueillir du bout des doigts la senteur agréable des pages, et des yeux le sens, et la magie des mots, montés uns à uns, et ensembles. Elle sourit à Daiketsu-san.

MAYA ▬  T'en fais pas, j'attendrais que tu le rendes à la bibliothèque. J'espère qu'il est aussi bien que je l'imagine. On m'en a parlé, une fois, dit-elle simplement, un index levé.

Maya n'avait pas forcément de préférences, en matière de lecture, non plus. Mais, au point où elle en était, elle évitait soigneusement, et de très loin, les histoires d'amour. Elle avait préféré, ces derniers mois, et lorsqu'elle avait eu l'occasion de poser les yeux sur un livre, les histoires d'aventures, et de suspense. Histoire d'oublier un peu la triste mélancolie de sa vie.

MAYA ▬ Tu as raison. Quand je prend un livre à la bibliothèque, je le prend au hasard, par contre. Nul besoin de lire quelques pages, j'y vais complètement à l'inst-...

On la coupa dans sa phrase, et elle sursauta lorsque dans son champ de vision, tout à droite, un mouvement s'opéra. Du coin de l'œil elle identifia les deux venus, et les ficha tout de suite dans sa catégorie des Bleus. Elle et Daiketsu leurs firent face, et elle haussa un sourcils quand elle réalisa qu'il avait arrêter Ichimada, pour lui parler.
Ses lèvres s'ouvrirent un peu dans l'incompréhension de ce qu'ils lui dirent. Daiketsu-san ? Rejoindre les Bastards? Elle n'en crut pas ses oreilles, et elle porta une main à sa hanche, confuse . La réponse que le blanc leur offrit, pourtant, la rendit hilare, et elle dut porter une main à ses lèvres pour empêcher le rire d'en sortir. Il n'avait pas si tort que ça. Elle n'aimait pas les Bastards, et les insultes proférées par le brun n'étaient que purs euphémismes face à ce qu'elle pensait d'eux. Bien sûr, à ses yeux, quelques cas se démarquaient, et elle les appréciait beaucoup. Son frère de cœur, par exemple. Elle l'aimait, Ô Dieu qu'elle l'aimait.

Tout son corps sauta d'un coup, devant la violence gratuite qu'elle reçut en plein dans les yeux. Ses muscles s'activèrent d'elle-même, et elle fit un pas en direction de celui qui venait de frapper son ami - oui, son ami- un poing serré et les sourcils froncés. Maya avait beau être douce et câline, elle n'en restait pas moins une Verte. Seules Hayden et Lilith savaient sa violence rare, mais d'autres allaient pouvoir goûter aux efforts qu'elle avait fait pour en arriver au stade où elle était, et à ses phalanges prêtes à faire mordre la poussière.

Seulement, et son cœur en fut déçu dans l'instant, Daiketsu Ichimada répliqua par lui-même, la stoppant dans son élan, et lui faisant ouvrir les yeux ronds et grands comme des soucoupes. Ha. Alors, lui aussi, il ne les blairait vraiment pas. Une sourire mesquin s'étala sur ses lèvres lorsque les deux garnement bleus se tirèrent comme des lapins effrayés. Un rire suivit, petit et presque dépité.


MAYA ▬ Ces bleus sont complètement stupides. Si j'les recroise à faire des saletés dans les couloirs, ils vont avoir affaire à moi, ces abrutis, grinça-t-elle entre es dents.

Soudain, Daiketsu-san se dirigea d'un pas prompt vers la bibliothèque, et elle suivit, les pas rapides.

MAYA ▬ J'm'inquiète pas tellement. Vu comment tu lui as répondu, j'pense que te prendre une beigne suffirait pas à te faire bien mal, fit-elle sur un demi-ton sarcastique.

Elle le rattrapa, et l'observa, se penchant un peu, tout en marchant. Elle les regarda quelques secondes, lui et son air sérieux, et fronça le nez de déception.

MAYA ▬ Fais-moi voir, quand même, souffla-t-elle.

Elle le stoppa en se fichant devant lui, les bras levés, et les mains prêtes à examiner son visage. Si elle le savait fort, bien plus qu'elle ne l'aurait pensé, elle ne pouvait pas s'empêcher de s'inquiéter. Elle s'inquiétait toujours, de tout le monde, et rien ne pouvait y faire. Cela était sa nature, et déranger Daiketsu-san, ou le gêner était, en l'instant, le cadet de ses soucis.

MAYA ▬ Il va y avoir un sale hématome - aah, les connards, si je pouvais les avoir sous la main -, il va falloir que tu passes par l'infirmerie passer de la pommade.

Elle délaissa son menton, pour le regarder dans les yeux.

MAYA ▬ Hé, Daiketsu-san. Sa voix était neutre et calme. Tu feras pas de bêtises, hein ? Les rejoindre, ces timbrés, tu le feras pas, hein ? Même s'ils utilisent la violence ?

Elle leva les sourcils hauts sur son front, interrogatrice et inquiète.  Après tout, il valait tellement mieux que ça.

Peu importait qu'il soit dans un groupe ou non, si les filles ne s'en préoccupaient pas ? Les pacifists étaient trop peu nombreux à son goûts, et il fallait les privilégier. A moins que le Gris avait en tête de rejoindre les Bleus - puisqu'en aucun cas les Oranges n'étaient de mise - à des fins strictement pacifistes. Comme elle. Mais ça, peu de gens le savaient. Parce que Maya usaient de ses droits et devoirs de Vertes pour instaurer autant de paix qu'elle le pouvait. Mais elle avait beau s'en persuader, parfois la haine contre les Hommes l'emportait.

Ils se dirigeaient, à son plus grand soulagement, vers l'infirmerie. Elle aurait été encore plus mal si, puisqu'elle n'avait pas décidé de lui éviter ces hématomes, il avait décidé de laisser ses blessures guérir d'elles-mêmes. Elle se sentait un peu fautive d'avoir été seulement spectatrice de son accroche avec les bleus. Elle l'accompagnait donc, et l'observait de près.

Son geste la surprit. Sa main, sur sa tête avait quelque chose de profondément paternel, et Dieu seul savait à quel point tout cela lui manquait. Elle était rentrée à Sei un an après la mort de ses parents, donc il y avait quatre ans déjà. Cinq ans sans avoir entendu la voix de son père, chaude et envoûtante, et sans sentir sa main sur son crâne, réconfortante et apaisante. Son cœur se serra, et quand il enleva sa main de ses cheveux, elle détourna le regard, un peu confuse. C'était à elle, bien qu'elle fut femme, de tenir le rôle du parent, et elle était là, bête,  presque rajeunie par sa réaction.


MAYA ▬  Hm, acquiesça-t-elle. Je t'accompagne, de toute façon.

Elle n'aperçut pas de suite la personne qui était adossée au mur, et quand Daiketsu-san le considéra, elle sursauta et fronça les sourcils. Il la regarda discrètement, les yeux voilés, en lui disant, entre autres, de ne pas s'en faire.


MAYA ▬ Comment veux-tu que je te crois ? C'pas mes affaires, mais qu'est-ce que c'est que ces magouilles, Ichimada ?

Oups. Elle mit la main devant la bouche, le visage toujours fermé, et les yeux sombres.


MAYA ▬ Daiketsu-san, je veux dire, se rectifia-t-elle.

Elle se mit devant lui, pour lui barrer le passage.


MAYA ▬ Ecoute, t'es pas tombé sur une personne qui se fout de tout, mais j'pense que tu l'avais déjà remarqué.

Et en effet, elle était loin de tout laisser passer. Daiketsu Ichimada était son camarade, et quelqu'un qu'elle estimait, même si ce fut la première fois qu'elle eut l'occasion de lui parler véritablement. Elle détestait voir ses camarades tomber dans l'abîme de la bêtise, et le voir comploter lui hérissait le poil. Elle était peut-être indiscrète, rabat-joie et fourre-son-nez-partout, mais elle ne pouvait, de nature, pas laisser passer ce genre de choses. Elle, Bras Droit des Amazons, qui n'aspirait qu'au bien et à la Justice, était exaspérée par ces enfantillages, que l'on retrouvait partout dans l'établissement.


Elle porta une main à son visage, déconfite.

MAYA ▬ Je me demande ce que va devenir cet établissement en Avril, quand je serais à l'université...