Le regard furieux de Shizuo m'invita rigoureusement à prendre mes distances. Malheureusement l'information mit un petit plus de temps que prévu pour arriver jusqu'à mon cerveau. Résultat : mes pieds ne touchèrent pratiquement plus le sol alors que je comprenais enfin qu'il valait mieux pour moi que je batte en retraite. Instantanément je lâchai le paquet de cookies qui s'écrasa lourdement au sol, venant saisir les poignets de mon agresseur. Je m'y attendais, à ce genre de réaction. J'étais néanmoins pris de court et mon cœur manqua de m'exploser la cage thoracique pour sauter à la figure de Shizu'. A la limite du ridicule, suspendu comme un linge à cause d'un simple manque de jugeote, les mots m'échappèrent. Je déglutis.

_ H-Hoi.. Qu-qu'est ce que tu fais, Shizu ?

Comparer à Shizuo je ne suis qu'une vulgaire poupée de chiffon que l'on peut tordre dans tous les sens. Faire absolument tout ce que l'on veut. Je crois que je compte un petit peu trop sur cette fausse innocence et cette charmante bouille de bambin pour me sauver la mise à chaque coup d'bitch du destin. Cette fois, j'ai encore eu de la chance. C'est tout mon corps qui se détendit lorsque mon bien aimé protecteur (tousse), déposa sa tête au creux de mon cou. Un soupire de soulagement s'échappa de mes lèvres, défaisant avec lui toutes prises que j'avais sur le blond ; mes bras retombant mollement le long de mon corps un peu trop frêle.

_ Baka... murmurai-je alors que son souffle me chatouillait le cou.

Au détournement d'une pensée, je me surpris à sourire, rassuré par cette proximité. Certes, j'étais toujours aux mains de Shizuo, or c'était toute son attitude qui avait changée. Ses sauts d'humeurs pouvaient presque être épuisants...
J'ai hésité à le prendre dans mes bras. Les enrouler autours de lui, le forçant à rester ainsi pour toujours. Vous savez, il est adorable quand il est calme - et surtout quand il a une peluche à sa disposition.
Mes mains cillèrent légèrement quand je fus reposé à terre. Une fois de plus, mon cerveau avait mit trop de temps à capter la situation. Je ne sais plus très bien ce que je m'apprêtais à faire, mais une fois de plus blondie reprit les devants. Mon corps se transforma en statue de sel, prête à être réduite en mille morceaux et parsemés au gré du vent. Ces baisers au coin des lèvres, ce n'était pas la première fois que j'y avait droit et pourtant je ne parvenais pas à m'y habituer. Chaque fois c'est la même danse : mon corps qui se fige, mon cœur qui s'arrête puis qui s'affole, mes yeux qui ne savent plus vraiment où regarder, mes pensées qui se brouillent... Ouais, c'est toujours comme ça. Pour quelqu'un qui n'est censé rien ressentir, c'est une véritable torture. Quand d'un autre côté... Je ne voudrais pas qu'il arrête. Qu'il arrête d'être comme ça. Même si un jour il pourrait bien me rendre fou.
Lui, il semblait heureux.
Tant mieux j'ai envie de dire.

« Excuse, c'est nerveux. »

Mettant deux pas d'écart entre lui et moi, l'expression encore confuse, je tentai de me la jouer mec cool je m'en-foutiste qui déborde de confiance en lui. Adoptant presque cet air distant, voir quelque peu hautain tandis que du coin de l’œil je l'observais se saisir d'un cookie. Ouais se prendre des faux airs quand on ne nous observe pas, normal.

_ Mmh... C'est pas... Bien grave. tentai-je d'un ton détaché. Inutile de préciser que ce fut un épique fail.

En particulier lorsque Shizuo se releva, annulant la distance qui nous séparait pour m'embrasser le front.

« T'es mignon, tu sais ? »

A partir de là, ce fut le gamin qui est en moi qui reprit le dessus. Bonjour je m'appelle Caleb, je suis grand, j'ai 7 ans. Mon visage se renfrogna, quand je pris la parole d'une mine boudeuse.

_ Non. Je suis pas mignon. grommelai-je entre mes dents, croisant les bras et détournant les yeux. De temps à autres et toujours dans la même posture je déviai le regard vers Shizuo, voulant observer sa réaction. Je finis par me résigner. De toute façon j'n'avais aucune crédibilité et autant de détermination que... Que rien du tout en fait. Hum, j'laisse tomber.. capitulai-je.

Mes mirettes se posèrent sur le paquet de cookies qui était resté au sol pendant tout ce temps. Manque plus qu'il ne prenne l'eau, tient. Mon esprit s'étant une fois de plus enfuit vers des contrées plus lointaines, je m'exclamai sans prévenir, m'adressant au paquet de cookies, réellement étonné de le revoir ici.

_ Huun, mais z'êtes encore là, vous !...

Ni une ni deux, je me penchai pour les sauver du crachin qui tombait. L'objet du délit entre les mains, je me redressai un peu brusquement. Un peu trop brusquement pour mon sachet d'amsterdamer, qui, s'extirpant de la poche avant de mon sweat fila aussitôt en direction du sol en la charmante compagnie de mes feuilles et de mes filtres. Il ne restait que des miettes, c'est chiant à rouler les miettes. Or, tout c'qui se fume, se fume !
Sur ce coup là, je ne m'exclamai pas. J'étais à la limite de paniquer. Ouais, que mon tabac se fasse la malle était le pire des sacrilèges. Pris d'un coup de stress, je refourguai en vitesse les cookies dans les mains de Zuo.

_ Tient moi ça ! m'écriai-je.

La seconde qui suivit me revoilà déjà à terre en train de reprendre mes biens, mettant furtivement ma capuche sur ma tête. Cette pluie commençait à me saouler. Clopint-clopant, me revoilà sur mes deux jambes, le cœur léger d'avoir mon tabac entre mes mains. Quand je repris conscience de la présence de mon vis-a-vis, je lui surpris un regard plutôt envieux, reluquant mon sachet d'amsterdamer. Pire, j'avais l'impression que sa vie dépendait de mon tabac. Mon regard allant de celui-ci à Shizuo, j'eus comme un petit arrêt sur image.

_ Hu ?

Je l'attendais, qu'il me demande de lui dépanner une clope. Ça se voyait qu'il en crevait d'envie, plus que tout. J'admets que j'aurais pu lui en proposer une, mais nan. Je ne lui passerais rien du tout tant qu'il ne m'en aura pas demandé une directement. Pourquoi ? Ho comme ça. J'devais avoir envie de l'emmerder. Car Zuo, qui paraissait beaucoup trop fier préféra tourner les talons sans demander son reste. L'observant s'écraser sur un banc, un léger rictus déforma mes lèvres. Les mains bien au chaud dans les poches, je fis mine de ne pas avoir compris. D'un côté ce n'est pas bien compliqué quand dès le départ on a une image d'étourdi. Tranquillement et prenant une grande inspiration de quiétude, je le rejoignis sans trop me presser. Après tout... Moi j'avais tout ce qu'il me fallait, nan ? (Des clopes et... Un blond ? ~ )

Encore une fois, ce fut la suite des événements qui me prirent par surprise. Je déteste ça, les imprévus. A peine avais-je eu le temps d'arriver à sa hauteur que celui-ci me prit les mains. Pendant un quart de seconde j'ai réellement cru que le blond allait me supplier de le dépanner en tabac. Ouais j'y ai cru. Comme quoi... C'est beau de rêver. Et puis l'espoir fait vivre ! Huhu... Sous mon regard interloqué Shizu se débarrassa de sa chemise sans aucune gêne apparente. WAIT ! Caleb appelle Zuo, Caleb appelle Zuo... Mais qu'est-ce que tu me fais, au juste ?! Dammit. Le peu de connexions qui me restaient entre les neurones subirent le plus grand court-circuit qu'elles n'aies jamais connu. Et bim, c'est tout le système central qui planta alors que je me retrouvai avec une chemise m'attaquant la face. Ne percevant plus rien si ce n'est du blanc et des ombres chinoises, mes muscles refusèrent de réagir. Je me serais fait momifié que cela aurait été la même chose.

La chemise du blond bel et bien posée sur ma tête, je fus en proie à une énième divagation de mon cerveau. Mmh, j'vais bien devoir l'avouer un jour ou l'autre, mais... Qui ne s'est pas au moins une fois dans sa vie amusé à jouer au fantôme avec un drap sur la tête ? Et bien voilà. Maintenant, là, tout de suite, je me pris réellement pour un fantôme... Sincèrement amusé par l'absurdité déroutante de mes pensées je me mis à rire tout seul. J'avais vraiment l'air... D'un con qui se marrait forever alone avec une chemise sur la tête. Exactement. La seconde idée qui m'occupa l'esprit fut de partager mon délire avec mon petit blondie.
Un énorme sourire plaqué sur le visage, je relevai la moitié de l'habit qui me cachait la vue, prêt à prendre la parole. Le regard plutôt soupçonnable de Shizuo me coupa dans mon élan et lâcha une demande qui tombait un peu comme un cheveux sur la soupe.

« Embrasse-moi. »

Mes yeux ne cillèrent pas et défièrent le regard du jeune homme. Sans réellement le vouloir, d'ailleurs. Ma bouche légèrement entrouverte remua comme si elle voulait dire quelque chose, mais aucun mot ne fut capable de sortir. A-vrai-dire, j'étais beaucoup trop abasourdi pour réagir de quelque manière que ce soit. J'humectai mes lèvres. Ce serait mentir d'affirmer que l'idée ne m'avait jamais traversé l'esprit et quand bien même j'étais réellement tenté de le faire, un esprit de contradiction insoupçonné vint contrecarrer la demande du garçon.
J'esquissai une moue perplexe, avant de replacer avec une lenteur extrême la chemise du blond devant mon visage et à mon tour je lâchai sans prévenir :

_ Non. Je proteste.

Evidemment, ce n'était que de la pure provocation. Et histoire de continuer sur ma lancée, j'enchaînai :

_ Finalement, je suis bien comme ça, moi. feintai-je de constater, les mains posées sur ma ceinture.

Bien sûr, ça tombait sous le sens, le spectacle ne s'arrêta pas ici. Ce fut à mon tour de tourner les talons en direction du banc. Le seul petit problème étant que mon champ de vision se trouvait grandement limité, mes pieds s'inventèrent une marche et je manquai de me casser la gueule. Me redressant l'air de rien j'atteignis mon objectif et pris doucement place sur le banc, histoire de ne pas m'asseoir à côté. Franchement, il ne me manquait plus que ça. Là, une fois bien installé je relevai les bords du tissu, de sorte à me faire un espèce de truc bizarre sur la tête à la mode des bonnes sœurs. Sournoisement, mes pupilles dévièrent vers Shizuo, un sourire en coin qui commençait à se faire un peu trop voyant et délibéré.

C'est à ce moment précis que je sortis mes feuilles, mes filtres et mon tabac, entamant la fastidieuse tâche du roulage de clope.
J'étais à la limite de ricaner tellement j'étais fier de moi.
Honnêtement, j'suis un bouffon.

Un petit point pour éclaircir la situation : je crois bien avoir foutu Shizu sous pression. Consciemment ou inconsciemment, j'avais provoqué quelque chose qu'il valait mieux éviter. Sa demande n'avait tout simplement pas été prise au sérieux. Ou si, justement. Mais c'était toute une partie de mon être qui l'avait rejetée. Il ne faut pas beaucoup m'en demander sur les relations humaines. Pour quelqu'un qui n'aime plus les gens, répondre à ce genre d'attente serait comme se trahir soi-même. Or moi-même c'est bien la seule chose qu'il me reste. Sûrement la raison qui me poussait inlassablement à provoquer le garçon. Je ne pense pas que je cherchais à prouver quoi que ce soit. Il suffit de me regarder dans les yeux pour comprendre que je ne suis qu'une baltringue. C'est idiot, mais si le jeune homme me l'avait demandé en plaisantant, là oui, j'y aurais répondu sans grandes hésitations. Cet esprit de contradiction sorti tout droit du trou du cul du monde ne devait être qu'une création de mon subconscient, pour me protéger. Ou plutôt pour continuer à me voiler la face. C'est tout bonnement impossible de vivre sans apprécier qui que ce soit, ou quoi que ce soit. Arrivez à me faire comprendre cela et je vous vénérerais pour le restant de ma vie.

« Non, tu n'aurais pas du. »

Exactement. Je n'aurais pas du... Si je n'avais pas voulu te froisser. Malheureusement, mes intentions avaient été toutes autres. Au début j'avais simplement pensé agir par amusement, mais maintenant je comprends mieux... De la lâcheté. Jamais, ô grand jamais mon cœur assumera qu'il tient réellement à toi. Sans cesse il cherchera à se décharger de ses fonctions. Sans cesse il te heurtera. Et tu finiras par te lasser, je suppose. C'est trop de pression, pour moi aussi. Constamment, je dois prendre garde à ne pas laisser s'échapper cette partie de ma personnalité. Ce côté si hypocrite et vil. Par peur de te décevoir. Voilà pourquoi j'espère que tu m'en veux vraiment alors que je te vois te diriger vers le banc, un sourire carnassier sur les lèvres. Voilà pourquoi je décide de continuer de te provoquer, t'affichant cette expression beaucoup trop indifférente, que même pour un étranger on oserait pas lui en gratifier.

_ Adieu, monde cruel.

Dis-je d'un ton beaucoup trop plat, trop calme pour coller à la situation. Quel était mon problème ? Sûrement ce que tu devais penser. Mes doigts déposèrent la clope inachevé dans le paquet de tabac, j'avais plus peur pour elle que pour moi. D'ailleurs, je ne serais même pas étonné que l'ignorance que je te témoignais t'énerve encore plus. Si tu veux me casser la gueule je suis dispo'. Pas un seul soubresaut ne fut esquisser alors que mon agresseur faisait de moi ce qu'il voulait. Mon corps était là, mais mon esprit était ailleurs. Sans vraiment en avoir conscience, je me retrouvai en T-shirt, couché sur le banc et Shizu me surplombant. Contrastant avec la main chaude du garçon posée sur mon torse, la différence de température me fit frissonner. Bien un des seuls éléments qui prouvaient que j'étais encore vivant. Un deuxième frisson me parcouru l'échine lorsque que je sentis le souffle du blond dans mon cou. Je me mordis la lèvre, réprimant le rose qui me montait aux joues.

« Que dis-tu d'une petite punition ? »

Pour ne rien vous cacher, je tergiversais encore sur le comportement à adopter. Devrais-je continuer sur ma lancée et pousser le bouchon encore plus loin ? Ou bien serait-ce plus sage de capituler ? Probablement suis-je fou, car j'optai sans mal pour la première option. Non, ce n'est pas fou, mais inconscient. Un sourire d'ivresse me déchira le visage en une drôle de fatalité. Par quelle folie étais-je en proie, au juste ? Je devais avoir envie de mourir. Un ricanement ironique me remonta le long de la trachée, secouant faiblement mon pauvre petit corps. C'était comme si je ne le contrôlais plus. A l'inverse de ma bouche qui souriait amèrement, mon regard se fit glacial. Si froid qu'il surprendrait n'importe qui. Si froid que c'est tout mon être qui se congela avec lui. Même mes pensées se figèrent.
Quand soudainement le ricanement cessa, mon sourire s'évaporant avec lui. Le monde se mit sur pause, ma bouche s'entrouvrit, prononçant des mots dont je saisissais à peine le sens.

_ Et une punition pour quoi, au juste ? Parce que j'ai refusé de me plier à tes désirs ? Sérieusement et puis quoi encore... C'n'est pas un peu égoïste de ta part, mmh ?... susurrais-je. Mes mots sifflaient. C'était des serpents qui sortaient de ma bouche. On ne devrait pas forcer ses amis à faire des choses dont ils n'ont pas envie. C'est pitoyable. Tu veux me punir parce que j'ai été moi ? N'importe quoi.

Un silence implacable se fit. Mon regard ne faiblissait pas. Il transperçait le garçon. Un peu comme si celui-ci voyait à travers lui. Petit à petit mes yeux s'écarquillèrent, comprenant enfin ce qu'il venait de se passer. J'étais faible. J'étais faible et j'avais laissé un infime morceau de la gangrène qui me ronge s'échapper. Il m'avait glissé entre les doigts, je n'avais pas su le retenir et de plein fouet il avait heurté le blond. Mon cœur s'arrêta de battre, ma gorge se serra, mes ongles rappèrent tout le banc. Je voulu me rattraper. Tenter de réparer ce que je venais sans doute de briser. Mais c'était inutile. Ma conscience me punissait et m'empêchait d'aligner deux mots.

_ J-Je... bafouais-je...

Néanmoins pour débloquer la situation le destin m'admit un petit coup de pouce. Je frissonnai une fois de plus et sans le sentir venir j'éternuai. Une fois, deux fois, trois fois. A chaque fois pris de spasmes que je ne pouvais réprimer. C'est ainsi que sans le vouloir ma tête heurta brusquement celle de Zuo, une douleur vive s'appropriant tout le haut de mon crâne. L'innocence flagrante qui a pour habitude de me dominer revint à la charge, reprenant ses droits. Pleurnichant comme un pauvre petit gosse qui se serait éraflé la genou je plaquai mes mains contre mon front, gesticulant dans tous les sens.

_ Huuuu, ça fait mal !! gémissais-je...

Me revoilà dans toute ma splendeur, comme si rien ne s'était passé. Comme si l'instant de fébrilité précédent n'avait jamais existé. Un mirage, une hallucination. Un simple courant d'air.
Pourtant.. Il n'en était rien.

J'avais attendu du coin de l’œil, chialant comme une tafiole, une réaction de la part du garçon. Evidemment, je ne me voilais pas la face, je savais parfaitement que j'allais en prendre pour mon grade. Mais jusqu'à quel point ? Peut-être avais-je quand même évité le pire... Même si je semblais être passé sans trop de mal d'un état d'esprit à un autre, les mots qui m'avaient échappé résonnaient encore en un cruel écho. C'était bien moi qui les avais prononcés, pourtant destinés à Shizu ils sonnait faux. Horriblement faux. Disons juste que j'ai dans un sens préféré me protéger de la douleur morale plutôt que de la douleur physique. Nan, recevoir des coups ne me faisait pas grand chose. J'en étais à un stade où mon esprit délirait complètement, se divisant presque en deux camps bien distincts. Me faire cogner ne confirmait que ce que je pensais déjà. Abruti, enfoiré, con étaient des mots que je me criais presque chaque jour. Me forçant à les intégrer et à me forger à cette image. Une barrière que personne ne pouvait franchir. Personne à part ce blond qui se tenait devant moi. La raison pour laquelle je me devais de le repousser, de le provoquer. Pour retourner vers lui par après. J'avance d'un pas, j'en recule de trois, c'était un peu ça. Il y a un stade à ne pas franchir et quand quelqu'un comme blondie se risque à vouloir passer outre, il est de mon devoir de l'en empêcher. Une fois celui-ci écarté, je peux revenir en toute quiétude, jusqu'à ce que le manège recommence. Indéfiniment... Vous ne m'aurez pas.

Cette réflexion parut longue, mais elle ne dura que quelques instants. C'est une douleur vive, presque insupportable pour un corps si fragile, qui me ramena dans l'instant présent. Le moment tant redouté était enfin arrivé. Je crus bien que mes côtes étaient en caoutchouc, se pliant sous le coup de Zuo pour directement m'empêcher de respirer. En un geste de secours, je tentai d'atténuer la douleur, m'entourant de mes bras : c'était inutile. Vous le savez. Je le sais. Et pourtant dieu sait -lui aussi- que l'on a des réactions débiles sous le joug de la douleur. Une toux à moitié étouffée me resta coincée dans la gorge alors que je peinais à conserver mon souffle déjà anormalement lent. Mes doigts se crispèrent. Se crispèrent si fort qu'ils me donnèrent l'illusion de me transpercer la peau à travers mon T-shirt ; quand d'une seconde à l'autre je me retrouvai expulsé lourdement au sol. Léger comme une plume, j'exécutai de somptueux roulés-boulés sur moi-même avant de stopper ma course folle sur le flanc gauche.
Mes bras n'avaient pas bougé, refusant promptement d'amortir ma chute. Je pouvais sentir à diverses endroits de douces brûlures qui me tiraillaient la peau. Je gémis presque silencieusement, peinant à reprendre ma respiration. Mon corps tremblotait faiblement. Ce qu'il venait de m'arriver n'était pas grand chose, mais il lui en suffisait de peu. Dos au blond, je l'entendis pestiférer.

« Quelle vie chiante. »

Ha ça tu l'as dit. N'empêche que... J'avais atteint mon objectif. Il s'était éloigné. Je pouvais revenir. Mes sauts d'humeurs et de comportements peuvent eux aussi être épuisants.

M'appuyant péniblement sur mon coude, mon corps se redressa avec lenteur, peu rassuré par les appuis qui le maintenaient. Dans mes membres c'était la troisième guerre mondiale. En position assise un gémissement m'échappa. Mes côtes étaient encore douloureuses et tenaient particulièrement à me faire part de leur mécontentement. J'ébouriffai mes cheveux le visage plutôt figé, reprenant mes esprits à mon rythme. En gros j'y serais encore demain, m'attendez pas. Depuis ma chute, mes yeux ne s'étaient toujours pas risqués à rencontrer à nouveau ceux du jeune homme. Passant brièvement ma main sous mon nez, mes bras tombèrent mollement le long de mon corps, ballant, heurtant le sol une fois de plus. J'étais là, assis par terre comme une fleur, sans me soucier des secondes qui passaient. Pas même mes cils ne cillèrent, mes pupilles trop occupées à fixer le sol.

Quand celles-ci dévièrent vers une tache rouge, sur mon T-shirt. HEIN ? WADAFOCKA C'EST QUOI CA ?! La vue de cette tâche m'effraya plus que l'attaque que je venais d'encaisser. Je dus pousser un petit couinement tout en saisissant le tissu pour mieux analyser la tâche. Stupéfait. Il n'y avait pas d'autre mot. Ma bouche aurait pu tomber jusque par terre que je n'en serais pas étonné. Brusquement et contrastant avec ma nonchalance précédente, je fis volte face vers Zuo. Mes côtes me réprimandèrent. Mes yeux le fixaient, tout ronds. Ou plutôt c'était son nez qu'ils fixaient.
Mes lèvres remuèrent.

_ C'est... C'est moi qui ai fait ça ?... Nan mais genre, c'est vraiment moi ?

bégayai-je incrédule.

De façon plutôt étrange et à la limite de me rétamer je me redressai sur mes deux jambes. Traînant des pieds je rejoignis le garçon beaucoup plus rapidement que je ne le pensais, me postant à quelques centimètres de lui.
J'avais sans doute l'air idiot, mais mon cerveau avait à peine conscience de ce qu'il commandait à mon corps. C'est ainsi que je me hissai sur la pointe des pieds, reportant réellement toute mon attention sur le nez du garçon. Alors que je l'analysai, mon visage se décomposa. Peut-être bien que je ne l'avais pas fait exprès, mais c'n'était pas pour étant que je ne ressentais aucune culpabilité. J'n'ai jamais fait de mal à personne, moi. Du moins physiquement...
Désabusé, je reculai de trois pas ; toujours cet air déconfit qui imprégnait mes traits.

_ H-Hum... Désolé, j'ai pas fait exprès, désolé.

déblatérai-je d'une seule traite tout en me courbant. Non, franchement, c'était bien là la seule chose que je n'avais pas voulu provoquer.
Sans oser dire un mot de plus, je le contournai à nouveau presque indifféremment, bien qu'en réalité je ne guettais qu'une réaction de sa part.
Avant que je ne prenne froid, je revêtis à nouveau mon sweat, capuche sur la tête. Sur le banc traînait encore mon sachet de tabac, feuilles et filtres. Je les fixai pensivement. Doucement je vins à les reprendre en ma possession. A me voir on aurait pu croire que j'avais peur de les briser. Mécaniquement je repris là où j'en étais. Attitude qui sera sûrement jugée désinvolte, or mon état d'esprit n'y collait pas. Entre mes doigts se forma un cône que je tassai sur l'ongle de mon pouce. Quand enfin, je me retournai vers Zuo, dirigeant lentement mon bras dans sa direction.
Sur un ton enfantin je lui dis :

_ Elle était pour toi. Ce n'était pas tout-à-fait vrai. Ça, il n'y avait que moi qui le savait.

Vers lui je tendis la cigarette comme je lui tendrais une sucette.
Maintenant, je pouvais revenir, esquissant l'ombre d'un sourire.

Maintenant que mon fulgurant accès de psychose était terminé -dieu soit loué-, c'était de bon cœur que je tentai d'arranger les choses. Et par quelle action se témoignait mon accès de bienveillance ? Cette clope. Oui, la même clope que j'avais eu tant de mal à rouler. Oui, la même clope que j'avais gracieusement offerte au blond. Ce même blond qui par la même occasion l'envoya paître dans les champs. Toujours et encore ce même blond qui m'avait défoncé les côtes. On ne se foutrait pas un petit peu de ma gueule ? Bah fock la vie, hein, moi des accès de générosité, bah j'en aurais plus. Voilà. C'est décidé. Nan mais aussi s'il ne la voulait pas suffisait qu'il le dise tout de suite ! Nan mais c'est vrai quoi. C'est du gâchis ! Surtout quand on est pauvre comme moi ! Moi je la lui aurais volontiers fumé cette clope. J'me serais sacrifié carrément. Et oh my carrada quel sacrifice... Ouai, je retiens. Si si, je retiens - j'suis pas le type qui vient de balancer des trucs dégueulasses à son pote par hasard ? Moi j'ai les nerfs. D'autres penseront que c'est bien fait pour ma gueule. Mais moi j'ai quand même encore et toujours les nerfs. Et puis ! Si ce n'était que ça...
Je commençai réellement à me les geler. Voilà c'qui arrive quand on s'assoit par terre comme un con. Sans réfléchir. J'étais en train de penser... Si un type nous observe depuis le début, y doit bien se fendre la poire. Sérieusement, question événements improbables qui s'enchaînent sans comprendre pourquoi ça arrive on est dans le top 5. Voir même level up. Manque plus qu'on nous filme toute une journée et c'est bon pour vidéo gags. Et puis... Faut pas oublier qu'on est dans un jardin. Qui plus est ce jardin se trouve dans un pensionnat, qui lui même se trouve dans une ville. Par conséquent : nous ne sommes pas seuls... Bref, tout ça pour dire qu'il se passe des trucs bizarres dans un jardin, limite un viol. Mais bon, suffit de regarder l'autre grand phénomène torse nu pour comprendre que y'a un truc qui va pas. Passons.

Tout ce blabla pour dire que je tentai d'ouvrir mes chakras tandis que ma clope prenait son envole. Quitte à penser à des fleurs je m'en tape complètement, tant qu'à la fin mon index cesse de tapoter nerveusement le banc et que ce sourire assassin disparaît pour de bon.

Lentement, pour être sûr de ne pas esquisser de gestes brusques, je me tournai dans la direction opposée du fils de... sa mère en lutin vert. Moi aussi je pouvais la sentir, cette pulsion démoniaque... Mon mouvement collait parfaitement avec le grincement assourdissant d'une vieille porte en bois une nuit d'orage. Lui tournant bel et bien le dos, je repliai mes genoux contre mon torse, les entourant de mes bras. Pendant un instant, j'ai réellement pensé qu'un rire diabolique allait s'échapper de ma gorge alors que j'affichais un regard de psychopathe prêt à sniper quelqu'un, à le découper en morceaux et à lui prendre sa peau pour en faire des sacs en cuirs.
Oui, décidément, j'ai vraiment l'esprit rempli de pensées apaisantes, j'aime. Bon, le point positif dans tout ça était que je commençai un petit peu à me réchauffer dans mon coin, comme le gros asociale que j'étais. Trop occupé à prévoir la mise à mort prochaine de mon tyran -j'admets, c'est puérile comme réaction-, je n'entrevis pas le regard dont il me couvait. A vrai-dire, je n'aurais même pas été surpris d'encore me faire taper dessus. Je crus néanmoins apercevoir un vague geste de sa part, me sortant de ma transe psychotique nerveuse. Et là, j'n'ai rien compris à c'qui s'est passé.

D'un instant à l'autre, le corps du garçon s'effondra contre mon dos. Shizuo, j'ai une requête à te demander, arrête de martyriser mon cœur s'il te plait. Ça m'aiderait beaucoup, sinon un jour, avec tous les battements qu'il manque je vais finir par crever. Je n'osai même plus prendre une seule inspiration. Qu'est-ce que... Mais c'est quoi... Mais je comprends rien ! Vous nous plus, hein ? Ha, je le savais.
Fatalement, je finis par cruellement manquer d'air. Sensation désagréable, en soi. Le plus rapidement possible, je n'inspirai pas, j'avalai une goulée d'air avant d'expirer profondément. Han mais ces émulsions d'émotions... Moi je sais pas gérer ça. Surtout que... C'est si soudain. C'est à cause de moi ? Ou quoi. Rah, mais j'suis con j'fais que des conneries. Quoi que... D'un côté... C'est bien pour moi. C'est ce que je veux. Je crois.

_ Hoy, Shizu... C'est quoi ça ? me risquai-je. Je n'osais même pas le regarder.

Bordel Cal' bouge toi un peu. J'aurais pu dire une tonne de trucs. J'suis un champion pour parler pour ne rien dire. Même pas besoin d'être en la compagnie de quelqu'un pour causer. Je parle avec moi-même, on s'entend plutôt bien. Mais on ne se comprend pas. Ho Cal' ta gueule...
Tranquillement, j'essayai de me tourner vers mon petit blondinet. Etant donné qu'il était à moitié affalé sur moi ce n'était pas simple... Finalement ça se fit tout seul. Pivotant de quelques centimètres Shizu prit automatiquement place sur mon torse, ses bras ayant pris possession de mon cou. Ses cheveux me caressaient le visage. Je m'étais peut-être tourné vers lui, mais mon attitude n'avait en rien changé. Rien n'y faisait. Même pas une phrase pour le consoler. Mes mots sortent toujours aux mauvais moments. Ouais, bizarrement pour blesser c'est plus simple. Cette bouche de menteur devait quand même s'ouvrir.

_ Hum.. Heu.. Si c'est pour ce que j'ai dit.. Ben... Ben quoi ? Jamais je ne pourrais dire que je ne le pensais pas. Je le pensais. Et oui j'avais voulu le blesser. Voyez le résultat... Pourquoi c'est si dur... D'assumer ? C'est mieux de se défiler. C'est pour les lâches. J'en suis un non ? En fait.. Euuh...

« T-T'as intérêt à rester avec moi... Tu dois rester, c'est tout... »

Cette phrase avait fusé de nul part, me transperçant en plein crâne. C'était... Ma mise à mort qu'il venait de prononcer. Je sentis l'énergie se vider de mes cellules. Mon corps refusa de réagir pendant des secondes qui me parurent interminables. Paralysé. Paralysé d'effroi. Ce sont toutes mes peurs qui me sont revenues en pleine face, m'attaquant encore plus violemment que précédemment. Je n'aurais donc pas l'esprit tranquille aujourd'hui... Remerciez le ciel que le pauvre garçon ne pouvait voir mon regard. Il devait être si vide. Vide de sens. Je ne cherchais même plus à comprendre ce que je ressentais. Je me contentai de lever ma main, qui elle seule consentit à m'obéir. Délicatement, tendrement, elle se déposa d'elle même dans la chevelure blonde du... Je ne sais même plus comment le définir. Épuisé. Épuisé de me battre contre lui. Je n'avais d'or et déjà plus conscience de ce que faisait ma main. Sûrement en train de lui ébouriffer ses cheveux. Vaincu, ma tête s'installa contre la sienne.
Je suis désolé.

_ Là, ça va... On ne se débarrasse pas des mauvaises herbes comme ça.

Ma voix n'avait presque pas d'intensité, indignée d'être mêlée au mensonge.
Tu ne m'as pas laissé le choix.
Il me tenait chaud, bordel.