Techniquement, Maya n'avait pas le droit d'écouter de musique dans les couloirs. Techniquement, la violence n'était pas permise à l'Ecole.
Alors tant pis.
Elle marchait au rythme de sa musique, qui sortait par vague de ses écouteurs, et traversait les couloirs rapidement, comme à son habitude. La raison ? Il était midi passé, et son ventre criait famine.
Ses yeux verts pommes parcouraient les centaines de visages qui se distinguaient devant, et à côté d'elle, qu'elle reconnaissait vaguement, ou très précisément. Elle voyait beaucoup de ces hommes qu'elle haïssait, et elle fronça souvent les sourcils avant d'arriver à l'escalier qui menait à l'étage de la cafétéria. Ils la dégouttaient, au plus profond de son être. Elle revoyait le visage d'Eren, et elle les haïssait, les maudissait encore plus. Ses hématomes, son sang, ses yeux. Son cœur devint noir.

Puis le temps s'arrêta. Tient, pensa-t-elle, tandis que ses yeux se posèrent sur une silhouette qu'elle avait déjà remarquée auparavant.

Ce type, dont elle ne connaissait le nom, était toujours seul. Comme Eren. Elle se mordit la lèvre. Elle ne voulait pas. Elle ne souhaitait à aucun étudiant ici d'être seul. La solitude, c'était comme être un mort vivant, pour elle. Pas de joie, pas de couleur. Pas d'amour. a vie semblait tellement longue, aux côtés de la solitude, et tellement froide.
Elle fit un pas en sa direction, puis un deuxième. Elle voyait en lui un second Eren, et plus elle s'approchait, plus les cheveux bruns emmêlés d'Eren lui revenaient. Elle retint sa respiration, et courut vers lui. Arrivée à sa hauteur, avant les premières marches d'escalier, elle sautilla et se jeta sur son dos, comme si elle eut affaire à une vieille connaissance. Si seulement elle avait su.

MAYA ▬  Hey ! Dit-moi, toi, ça te dirait qu'on mange ensemble, aujourd'hui ?

Maya, Amazon. Plus de tendresse et de gentillesse que de violence sous la peau.

Maya n'aimait définitivement pas la solitude des gens qui l'entouraient. Elle ressentait le malheur qui suintait de leur être à deux kilomètre de distance, et cela lui donnait la nausée. Elle savait l'humain avare de chaleur, et de gens à qui parler. Elle le savait gourmand de plaisirs, et de désirs. Elle le savait malheureux, lorsqu'il était seul.

Et en cela, elle ne comprit pas la réaction du jeune homme.
Un poing sur le cœur, et l'autre sur le ventre, elle regarda, ahurie, l'ouragan qui se déchaîna devant elle. Avec stupeur, le sourire qu'elle avait arboré jusque-là se désintégra au fur et à mesure que les mots sortaient de la bouche du garçon. Son cœur rata un battement, et elle se demanda alors ce qu'elle avait fait de si mal pour que l'on s'adresse à elle de la sorte. Elle cligna des yeux une fois, puis deux, et déglutit enfin avec une certaine difficulté, la gorge sèche et serrée.

MAYA ▬ Hum, désolée si je t'ai fait peur, dit-elle sur un ton faible, et ses lèvres se contractèrent en une ligne maladroite.

Elle prit une grande inspiration, à partir de là, et un nouveau sourire apparut sur son visage au front tatoué. Elle voulait paraître aimable, gentille, et tout le reste. Et puis, de toute façon, elle l'était. Pourquoi seulement le paraître ? Tant pis s'il ne voulait pas de sa gentillesse, elle le suivrait tout de même.
Les yeux pétillants de malice, de ses deux mains elle lui prit la sienne, la gauche, et se pencha vers lui. Elle reprit, la voix plus claire, plus joyeuse, et plus haute.

MAYA ▬ Mais j'aimerai quand même bien manger avec toi. C'est vraiment pas marrant d'être tout seul !

Elle le regarda du haut de son mètre soixante-neuf, fixement. Elle ne le lâcherait pas, quoi qu'il lui en coûte. Et ce n'était sûrement pas son regard aux allures meurtrières qui allaient la contrarier ou lui faire baisser les bras.

De toutes les personnes qu'elle eut connues, jamais un garçon tel que lui n'était arrivé jusqu'à elle. Déjà, physiquement, elle ne connaissait pas grand monde avec des cheveux si brillants et lisses  - bien que Keel et Liam aient aussi des cheveux blonds, mais leur teinte en était différente  de celle-là  - ni de personne aussi grande. En effet, elle devait lever le visage pour pouvoir le regarder correctement. Un étranger, pensa-t-elle sur l''instant, et sa peau tannée le lui confirma. Il posa ses yeux clairs et effrayants sur elle, et le sourcil droit de la jeune rose tressauta.

Le poing droit qui atterrit l'instant d'après dans le mur ne lui arracha ni cri de surprise, ni cri de frayeur. Ses yeux ne s'ouvrirent même plus à la vitesse surprenante, et sa bouche ne tressaillit même pas. Ses mains ne lâchèrent pas encore celle du garçon.

Cependant, ses sourcils se froncèrent, plissant quelque peu le losange sur le haut de son visage. Elle commençait à y voir un peu plus clair. Non, ce n'était pas la solitude qui s'était attaqué à lui, mais lui qui s'était offert à elle. Son cœur s'assombrit. Très bien. Un nouveau sourire, moins mignon, peignit ses traits. Ce fut un sourire amer, et elle s'étonna elle-même.
Elle lâcha la main de l'inconnu et mit ses mains sur ses hanches, les joues boudeuses.

MAYA ▬ Et ben bravo. Et qui va payer la réparation de la fissure ? soupira-t-elle en premier lieu. Et pas la peine d'être si violent, regarde, j'te touche plus.

Elle leva les mains en l'air, innocente et sarcastique. Mais rien ne disais qu'elle allait réellement le lâcher. La défaite n'était pas trop son genre, et elle le lui ferait savoir, tôt ou tard.

MAYA ▬ Cependant, je veux toujours aller manger avec toi, et tu ne me feras pas partir, de quelque façon que ce soit.

Elle se mit bien devant lui, campa ses jambes, croisa les bras, et attendit, un tout petit sourire aux lèvres.

La porte, dans le couloir voisin, qui s'ouvrit, fit un bruit qui interpella la rose. Les mains toujours sur les hanches, elle tourna la tête en direction du son, le sourire évanouit, et le regard à l'affût. Rien ne vint, dans l'instant, mais elle sut que, les élèves étant tous dans les salles de classe ou au réfectoire, ce fut un professeur qui allait débarquer d'un instant à l'autre.
Elle n'eut pas le temps de prendre une inspiration pour continuer à parler que le garçon se mut, et alla s'asseoir sur les escaliers à côtés d'eux. Elle le regarda, silencieuse, dans la même pose, et le vit ouvrir sa boîte à repas. Pendue à son bras, elle possédait aussi sa propre boîte à bentô. Préparée la veille, elle en contenait bien plus que ce qu'elle ne pourrait ingurgiter. L'idée la fit sourire, une fois de plus, et elle bougea aussi. Lorsqu'elle fit le premier pas, elle entendit enfin le membre du corpus scolaire faire son apparition.

Il fut un temps où Maya eut beaucoup aimé jouer la comédie. Et, croyez-le ou non, elle avait gardé cette toute petite étincelle qui la rendait crédible dans n'importe quelle situation. Son visage se déforma naturellement en colère.

Professeur ▬ C'est vous qui avez fait ça ? ! cria le professeur, d'Anglais se rappela-t-elle, et elle lui répondit d'une voix hargneuse.

MAYA ▬ Il est partit par-là, cet abruti, dit-elle en pointant le fond du couloir, il est brun, grand et baraqué. Il a foutu son poing dans le mur, visiblement en rogne, et il a bien faillit me pulvériser le crâne dans le même temps ! continua-t-elle sur sa lancée de mensonges.

Le professeur jura entre ses dents, et partit dans la direction montrée. Elle souffla, satisfaite, et le regardant courir, elle alla s'asseoir à côté du garçon qu'elle venait d'aborder. Sur les escaliers, elle cala sa jupe d'uniforme confortablement sous ses jambes - on ne savait jamais avec les tarés de l'Ecole -  et défit le tissu qui recouvrait sa boite. Elle attrapa les baguettes et sépara les deux étages de sa boîte pour en tendre une à son camarade, amant de la solitude.

MAYA ▬ Tiens, c'est pour toi. Grand comme tu es, tu dois manger beaucoup, n'est-ce pas ?

Voyant qu'il ne réagissait pas plus que cela, elle grimaça et posa l'étage de la boîte entre eux deux, et commença son repas, à son tour.

MAYA ▬ Je ne vais pas t'empoisonner, tu sais, dit-elle la bouche pleine. J'ai beau être une Amazon, je ne fais pas crever les gens pour un rien.

Et elle avala.

Maya savait pertinemment qu'il était sur ses gardes. Et c'était plutôt amusant à regarder. La bouche pleine, elle souriait, et l'observait manger, les yeux bloqués devant lui. Il avait l'air blasé, comme si rien ne l’atteignait. Mieux valait cela que le regard haineux, dont elle avait plutôt l'habitude. Elle soupira de bien être, mais faillit s'étrangler en écoutant râler le garçon.

Qu'est-ce qu'elle cherchait ? A vrai dire, pas grand chose et la question la laissa perplexe une seconde. Elle cligna des yeux. Mais cela était vrai. Que cherchait-elle ? Elle voulait seulement tout le monde heureux. Mais lui répondre cela aurait été tellement naïf de sa part qu'elle se tue, n'ayant plus faim d'un coup. Non, il n'avait certainement pas atteint qui que ce fut dans son entourage, ni rien qui ne lui soit liée. Elle l'avait seulement trouvé un peu trop seul. Cela avait-il été une erreur de sa part ?

MAYA ▬ Mais, je ne te veux rien en particulier, tu sais... chuchota-t-elle, les yeux perdus dans sa boîte à bento.

Elle tourna les yeux vers lui.

MAYA ▬ Te laisser tranquille ? Je suis si dérangeante que ça ? sa voix était pleine de déception. Je voulais juste que tu ne sois pas seul. Je te vois éternellement sans personne. Je ne voulais pas te brusquer.

Et c'était vrai. Elle posa sa boîte à côté d'elle et ses mains sur ses genoux, le regard triste. Mais Eren repassa devant ses yeux, et elle releva la tête aussitôt, tandis que le blond lui parla encore. Son coeur bondit dans sa poitrine et se réchauffa. Oui, elle n'avait qu'un seul but en tête, et elle allait tout faire pour y parvenir.

MAYA ▬ Je n'ai aucunement pitié de toi. J'essayais juste de sociabiliser. Mais tu as raison, j'aurai dû faire ça autrement. Je suis Maya, et toi ?

Elle lui accorda un nouveau sourire et elle capta sous regard dirigé vers la partie de sa boîte non entamée.

MAYA ▬ Si tu as si faim, je t'en prie, je ne vais pas manger plus de toute manière.

 

Pour Maya, seule la perte de ses ascendants pouvait provoquer une solitude profonde.

Maya avait perdu ses parents il y avait quelques années déjà. Cinq, pour être exact. Et elle savait à quel point cela changeait la vie d'un enfant. D'abord, le choc. On pleure, on regrette, on se haït, même. On pense à ce que l'on a fait, ou non, ce que l'on aurait du faire, dire, penser. Ce qui leur aurait plaisir, leur donner plus d'amour. Puis, la dépression. On ne mange plus, on en boit plus, on ne parle plus. On meurt, pourtant encore vivants. On reste seul, on s'enferme, et on se plait dans notre coquille. On y goûte la joie de la solitude, et le bonheur de la tristesse.

Mais pour certains, la lumière revient, peu à peu. Et Maya fut un de ces cas. La fleur fanée qu'elle fut avait vaincu l'hiver et s'était rouverte au monde. Elle avait relevé la tête, et s'était avancée. Elle avait révélé la vraie nature de la solitude, et de la tristesse. Elle avait laissé le Soleil reprendre vie en elle. Et elle avait survécu. Elle regrettait ses parents, sa famille toute entière, même. Mais elle vivait, et elle gardait leur souvenir, merveilleux, en elle seule.

NATHANIEL ▬ Vu que tu m’as sorti du pétrin pour le prof… j’veux bien manger ta part en trop pour qu’on soit quitte. Et je VEUX rester seul, c'est mon choix.

Elle sut que, contrairement à elle, Nathaniel était resté dans sa bulle. Ses lèvres tressaillirent, et elle baissa les yeux. D'abord tournée vers lui, elle soupira en passant sa main ses cheveux, puis se tourna vers le vide devant eux. Elle croisa les mains devant elle, et y posa son menton.
Evidemment, elle connaissait un remède à cela. La compagnie forcée. Et son secret, c'était de s'ouvrir, de gré ou de force. Valait mieux être directe, même s'il le prenait mal. Après tout, elle était une Amazon. Elle n'avait pas peur.

MAYA ▬ Je suis orpheline, moi aussi, tu sais, souffla-t-elle, et elle sourit en le voyant prendre en main sa boîte à bento. Bon appétit.

Elle l'observa engloutir les premiers aliments. Cela lui réchauffa le cœur. Ses sourcils se haussèrent haut sur son front tatoué.

MAYA ▬ Nathaniel ? C'est joli, dit-elle, doucement.

Les couloirs étaient vides, et seul le bruit que faisait Nathaniel en mangeant emplissait ses oreilles.


 

Ses parents ? Est-ce qu'elle les avait connu, ses parents ? Oui, bien sûr que oui. Sans doute pas assez, mais elle les avait connu. Pendant treize ans. Elle avait eu tant de chance de les connaitre, pendant ces années. Tant de chance d'avoir eu le temps de les aimer, et d'être aimée à son tour. Tant de chance d'être née dans un monde où elle avait pu se reposer, d'abord, sur leur aide. Elle qui avait été si frêle, elle avait eu tant de chance de pouvoir compter sur eux. Compter sur le sourire de sa mère et les yeux rieurs de son père. Et pourtant.

Parfois, elle ressentait la douleur même de les haïr. Même après leur mort. Ses parents, même s'ils l'eurent aimée - elle le savait très bien - n'avaient jamais vraiment fait attention à son bonheur. Ses paternels voyageant et l'entraînant dans leur sillage, la jeune Maya de l'époque n'avait jamais connu ne serait-ce qu'un lieu de résidence permanent. Elle les avait suivis, aveuglée par son innocence et son immaturité enfantine, et avait perdu tout ce que la vie aurait pu lui offrir : des amis, une école, un pays.

Bien sûr, Maya était née sur les terres nippones, mais son absence avait fait d'elle, d'abord, une étrangère, face à ce pays qu'elle avait pourtant toujours aimé. Pour elle, le Japon avait toujours été son territoire, son pays. Mais le flux dans lequel elle avait été emportée l'avait tellement influencée qu'à son arrivée à Sei, elle n'avait été que mélange de cultures. Elle n'avait été sûrement pas été ce qu'elle avait voulu être. Ils avaient fait d'elle quelqu'un qu'elle ne connaissait pas, quelqu'un qu'elle n'aurait jamais, de son propre chef, choisit d'être. Mais elle était là, désormais, et elle croyait désormais que ce qu'ils avaient fait, lui retirer tout le bonheur extérieur qu'un parent pouvait offrir à son enfant, l'avait rendue forte. Indépendante, et ouverte. Finalement, grâce à eux, elle avait pu choisir d'être quelqu'un d'autre.

MAYA ▬ Oui, je les ai connus. Et toi ?

Sans le savoir, Maya posait une question presque défendue. Ce qu'elle voulait, elle, en cet instant, fut de le voir s'ouvrir, et exploser la coquille qui le recouvrait, comme un champ de force.

NATHANIEL ▬ J’espère que tu ne t’attendais pas à un compliment de ma part… Par contre. C’est qui qu’a préparé ça, du coup ?

Un compliment ? Non, elle trouvait réellement ce prénom joli. Comme le sien, il ne portait aucune consonances japonaises, et en cela elle le reconnut encore plus proche de sa personne. Comme elle, il semblait mêlé aux histoires d'autres pays, et cela la toucha.
Et Maya n'attendait rien de sa part. Elle voulait juste, pour une fois, être gentille. Il était rare, à cause de sa personnalité forte d'Amazon, que quelqu'un l'intéresse autant. D'habitude, il lui fallait une raison précise et valable, comme celle d'Eren, pour qu'elle soit vraiment décidée à se manifester. Mais le Nathaniel qu'elle voyait l'intéressait de plus en plus, et rien au monde ne la pousserait à en recevoir de même.

MAYA ▬ Et bien, c'est moi-même. Tout frais de ce matin. Tu aimes ?

Le Soleil tapait et le ciel bleuissait à vue d'oeil. La rosée fondait, et la porte s'ouvrit. La petite nippone courut dans la cour avec les cheveux au vent. Elle riait, le sourire aux lèvres et les joues roses, à gorge déployée. Ses yeux bruns cherchaient la lumière. Outo-san, viens jouer avec moi. Allez, viens ! Mais un sourire lui répondit, et elle fit de même. Et, pourtant, elle ne sut pas que son cœur commença à se briser.


MAYA ▬ Hm, je te comprend.

Ses parents n'avaient jamais eu la capacité de l'écouter, ni de lui laisser le temps de s'ouvrir. Voyager avait été leur seul lien, en tout et pour tout, qui les avaient rapprochés, et la seule chose qu'elle pouvait se souvenir parfaitement d'eux, était leur sourire, calme, et brillant. Et faux.
Elle aurait voulu les aimer plus que ça. Elle aurait voulu les connaitre plus que cela, au-delà de l'apparence qu'ils lui offraient.

NATHANIEL ▬ Ouai, c'était bon.

Ah. Elle sortit de ses pensées glauques. Elle sourit. Merci, soupira-t-elle doucement avant de replacer une mèche de cheveux roses derrière son oreille. Elle le regarda un instant avec ses yeux à lentilles.

MAYA ▬ Merci, ça me fait plaisir.

Et elle était sincère. Tout à coup, la nostalgie revint, et elle se vit cuisiner avec sa mère, rare moment familial. Son sourire devint mélancolique et elle passa une main dans sa nuque. Elle se souvint de son sourire, pendant un instant, et elle le sut vrai, celui-ci. Celui de son père, à leurs côtés aussi, était heureux. Mais ce temps là était révolu. Elle soupira.

NATHANIEL ▬ Tu prépares ça comment ?

Elle haussa les sourcils, et son sourire redevint le sien, naturel. Elle n'allait pas lui dire, non. Elle saurait garder le secret, rien que pour le forcer à rester en contact avec elle et ses mets. Elle rit un peu avant de mettre un doigt devant sa bouche.

MAYA ▬ Ki-Mi-Tsu.

Elle est parti d'un nouveau rire, les mains sur les hanches.

MAYA ▬ Si tu me permet d'être ton amie, tu sauras, sans doute.

Si Maya n'avait pas la capacité de comprendre les gens totalement, elle avait en revanche le pouvoir de se mettre à leur place. Elle avait le pouvoir de compatir, de ressentir. Et à ce moment-même, si elle n'avait pas exactement vécu ce qu'avait vécut Nathaniel dans sa jeunesse, elle ne pouvait pas moins en ressentir la tristesse, le désespoir. Elle savait le goût amer du sentiment d'être rejeté, et celui de voir à travers les sourires implacables, dont la lumière semblait si fausse qu'on s'en mordait les lèvres, impuissant. Elle voyait dans le bleu de ses yeux le mélange tortueux de ces ressentis, dont elle connaissait partiellement la couleur de chacun d'entre eux.
Mais sans doute le blond avait raison. Peut-être que son étrange pouvoir, cette envie n'était pas assez suffisants pour pouvoir le comprendre, au sens propre du terme. Peut-être n'avait-elle pas, justement, assez de compassion pour pouvoir totalement et uniformément savoir ce qui se passait là dans son coeur. Et pourtant. Et pourtant, dans son coeur d'Amazon, elle l'aurait voulu.

Certains se demandaient dans quelle mesure la petite Ayuzawa Maya avait réussi à devenir ce qu'elle était aujourd'hui. Une Amazon, entre autres. Et la Duchesse des siennes, qui plus était. Et ils étaient entièrement en droit de se demander cela. En effet, comment un si petit être, qui aimait la Vie plus que tout, et qui ne semblait pas forcément, au premier regard, violent pour un sous, pouvait-il diriger aux côtés d'une Reine la patrie féminine la plus violente de l'Ecole ? Et bien, elle même n'aurait pas su vous le dire. Parce que ce fut la partie tout au fond d'elle qui l'avait mené ici, chez les Vertes, et quoi qu'en disent les autres, malgré ce qu'elle laissait voir, elle n'en avait pas moins en réserve.
En revanche, ce qu'elle montrait rappelait bien plus les traits d'un Pacifist. Joyeuse, souriante, avenante, voilà ce qu'elle montrait. Et ce fut son désir de protéger la Justice, la Fameuse, qui la rendait tel que cela. L'Amazon ne reprenait le dessus qu'en extrême danger. Ou dans ses moments de folie.

NATHANIEL ▬ Je crois pas que tu me comprennes, non.

Elle sourit, d'un sourire triste, à cette phrase, avant de soupirer et de passer un pouce, frottant, sur sa pommette. Réellement, elle haïssait le fait que certains, de leurs jours, surtout à Sei, puissent encore penser de cette manière. Elle ne pourrait jamais se résoudre à laisser tomber quelqu'un, et savoir que le blond lui-même pensait être abandonné de tous la foudroyait. Ses épaules retombèrent mollement lorsqu'elle expira, dernier mouvement dans son soupir. Ses yeux s'étant fermés sous l'expiration, elle les rouvrit juste à temps pour voir le garçon se lever des marches, sur sa droite. Elle l'observa se poster devant elle avant qu'ils ne soient couper.

Cette scène lui parut terriblement familière, et une expression indéchiffrable vint se peindre sur son visage tandis que la réflexion amusante sur l'origine de ce moment de déjà-vu lui apparaissait. Pointée du doigt, elle se redressa, comme pour se reculer devant l'énergumène qui venait d'apparaître. Elle ne comprit pas un traître mot de ce que cet abruti brailla, et son regard s'aiguisa automatiquement lorsque le premier coup vint. Elle sut qu'arrêter Nathaniel dans son élan n'aurait servit à rien. Dans sa taille frêle et fragile, elle aurait sans doute été blessée, et elle resta là, le menton dans une paume, le regard blasé et observateur.
Maya, quand son côté Amazon revenait à la surface, possédait un style bien à elle. Elle se battait bien, et l'ancienne Reine des Vertes le lui avait affirmé, mais elle avait engrangé assez d'observations et de réflexions sur l'Art et la Manière de se battre pour posséder sa propre signature. Elle n'allait pas souvent aussi loin que Nathaniel venait de le faire, laissant toujours une chance interdite à la victime. Rares étaient les fois où elle entendait l'épaule se déchirer.

Elle entendit le professeur arriver et elle échangea un regard avec ce dernier, et hocha la tête. Son mensonge s'était révélé véridique après tout. Que la victime aille se faire soigner. Elle soupira à nouveau lorsqu'ils furent de nouveau seuls, et elle s'étira en avant, craquant ses phalanges.
Elle observa, les yeux mis-clos, le blond l'approcher et s'accroupir devant elle. Elle fit les yeux ronds lorsqu'elle nota son index à la verticale et l'interrogea du regard. Allait-il lui demander de le remercier, ou quoi ? Elle se redressa, suspicieuse.

NATHANIEL ▬ Je te laisse me poser une et une seule question, j’y répondrais et en échange tu me donnes la recette.

Elle sourit, amusée. Du chantage ? Son sourcil droit se leva et elle croisa les jambes, croisant de même les doigts de ses mains où elle posa son menton afin de faire mine de réfléchir. Mais, c'était vrai. Que pouvait-elle donc lui demander ? Il était pourtant certain qu'elle ne divulguerait en aucun cas la recette de son repas du jour. Tout simplement parce qu'il n'y en avait pas. Elle avait fait cela au feeling, en réalité. Mais elle n'allait pas lui dire. Un nouveau sourire s'installa sur ses lèvres, plus machiavélique encore.
Mais, qu'allait-elle lui demander ? Elle aurait eu tellement de questions sans importance à lui poser, comme des banalités, mais elle s'en fichait royalement. Si elle devenait amie avec lui, elle aurait tout à fait l'occasion de le connaitre en tout et pour tout. Soudain, l'idée vint. Pourquoi n'y avait-elle pas pensé plus tôt ? Si elle ne pouvait arriver seule à son but, autant demander de l'aide !

MAYA ▬ Oh ? Et bien, je voudrais savoir : Qui, à Sei - donc omet tes parents - affectionnes-tu le plus ? Et pour la recette, c'est un peu long et complexe. Donne-moi ton numéro, que je t'envoie tout ça, fit-elle, la voix rieuse.

Vrai. Pourquoi n'y avait-elle pas pensé plus tôt ? Elle le regarda, un éclair mystérieux dans les yeux.
 

Elle l'écouta lui répondre. Son cœur fit un bond, puis la rougeur de ses joues se ravisa lorsque la seconde partie de la phrase atteint finalement son encéphale. Celle qu'il détestait le moins ? Elle pouvait s'en réjouir, mais savoir qu'il n'aimait personne la contraria. Dans le monde où elle vivait, il était pour elle insensé et incroyable de n'avoir aucune attache de quelque sorte que ce fut. Elle le regarda, peinée et le cœur douloureux.

MAYA ▬ Alors, je ferai tout pour t'être chère, à tes yeux.

Elle soupira, frottant sa nuque de sa main, et eut un sourire amer quand elle vit Nathaniel lui tendre son portable. Cette scène, elle l'avait déjà vu, et elle fit tout son possible pour l'omettre et désintégrer le souvenir de sa mémoire. Elle inspira, secoua la tête imperceptiblement, et attrapa le cellulaire. Pourtant, elle revoyait sa tenue, le brun de ses cheveux, et l'herbe autour d'eux, la fraîcheur du matin pénétrer ses pores. Elle tremblota, et elle ferma les yeux, puis les rouvrit, un instant plus tard. Les escaliers, des cheveux blonds, l'odeur du repas qu'il venait de partager avec elle. Elle soupira. Elle fixa Nathaniel, qui la regardait, et baissa rapidement les yeux sur l'écran, et chercha les contacts. Rizzen ? Claude ? Elle le regarda d'un coup d'œil rapide, et ramena son attention à l'écran. Elle choisit le fameux "moi", et sortit son portable de sa main gauche, enregistrant sur celui-ci le numéro affiché. Par la suite, elle envoya rapidement un mail, de sa rapidité tactile parfois surprenante, et tandis, dès que cela fut fait, son portable au garçon.

Elle lui tendit un sourire.

MAYA ▬ Je t'envoie ça ce soir, dès que j'aurai le papier de la recette sous la main. A moins que tu ne veuilles passer au dortoir un instant ? Je te ferai un double du papier, si tu veux. Tu sais, ma mère serait très flattée de savoir que ces plats sont toujours aussi appréciés.

Elle rangea son téléphone dans la poche cachée de sa jupe marine.

MAYA ▬ Mais dit-moi, qui sont ces gens, dans tes contacts ? Excuse-moi, mais j'ai vu par inadvertance leurs noms, et je suis trop curieuse. Mais je me dis que forcément, c'est que tu dois les apprécier, même un minimum.

Et elle l'était réellement, curieuse. Elle ne pouvait, rien qu'une seule seconde, imaginer une vie sans lien sociaux. Impossible était cette vision des choses, pour elle, et elle voulait bien pouvoir comprendre comment Nathaniel pouvait le supporter. Etre seul ne pouvait même pas être envisageable. Penser avec soi-même, partager avec soi-même, aimer seul, même. Et vivre seul. La tristesse devait surement se lire sur son visage, mais jamais Ô grand jamais elle ne le laisserai continuer à dire, quoi qu'il fasse ou qu'il lui fasse, qu'il était seul. Jamais.

Maya se souvenait très parfaitement du moment où elle sut qu'elle n'aurait jamais pu avoir un frère ou une sœur, quoi qu'elle eut demandé, et quoi qu'elle eut souhaité. Elle se souvenait du regard contrit de sa mère, et celui, gêné de son père. À cette époque, l'âge jeune qui ne prouvait que son innocence naturelle avait fait qu'elle n'avait pas compris, sur le moment, le silence, en réponse à sa question. Elle se souvenait avoir haussé les sourcils, puis ressenti la plus grande des tristesses.
À la sortie de l'école, en Angleterre à l'époque, elle se souvenait avoir longtemps observé sa camarade recevoir les salutations de sa grande sœur, son câlin et ses sourires. Elle, derrière, en compagnie de ses parents, avait refermé les lèvres sur la question, et s'était pincé le bras, les mains croisées dans le dos, pour se retenir de verser les premières larmes de solitude. Dans son uniforme anglais, debout devant ses parents, le regard envieux et rivé sur ses amis entourés, elle avait été seule, et personne n'avait pu lui dire pourquoi.
Mais là, sur ces escaliers, le souvenir la frappa de plein fouet, et les images défilèrent, tant et si bien que son regard se perdit un instant sur l'angle d'une marche grise, poussiéreuse, comme les images qu'elle voyait. Son sourire s'effaça et elle resta muette un instant.
Un moment plus tard, elle releva les yeux vers lui, discrètement, et un nouveau sourire – presque caché derrière une main d'une Maya gênée d'avoir laissé ses yeux traînés sur les noms du répertoire – s'étira sur ses lèvres. Au moins, quoi qu'il puisse en dire, il n'était pas réellement seul. La nouvelle l'enchanta, et un nouveau souffle chaud s'insuffla dans son cœur. Ses lèvres ne pouvaient s'empêcher de se croisser, et ses yeux se plisser.


MAYA ▬ Rizzen ?  demanda-t-elle d'une petite voix.

Elle sembla réfléchir un moment, mais elle savait, dès que Nathaniel en fit la description, qui il était. Elle l'avait vu, quelques fois, traîner dans les couloirs, et faire baisser le regard des gens. Pas le sien, évidemment. Tant qu'elle n'avait pas d'histoire avec ce gars, elle n'en avait pas forcément peur. Pourtant, elle s'était souvent demandé, en voyant sa cicatrice, ce qui avait bien put lui arriver, mais jamais ne lui était venue à l'idée de l'aborder comme elle l'avait fait plus tôt avec Nathaniel.
Alors, comme cela, ils étaient frères ? Elle pencha la tête sur le côté. Intéressant. Elle avait au moins une bonne raison d'aller parler à ce grand bonhomme aux cheveux décolorés, la prochaine fois. Elle cligna des yeux et regarda le blond, presque rêveuse.

MAYA ▬  Je vois qui est Rizzen. Mais.. Claude ? Enfin, tu ne veux pas en parler, et je comprend tout à fait.

Elle se redressa. Sous son air innocent pourtant, elle prévoyait déjà d'aller soutirer des informations concernant ce fameux... qui ? Ah, oui, Claude. Rizzen devrait sûrement lui être utile. Elle tenterait, du moins, de lui demander quelques petites choses, à lui qui n'avait pas l'air si commode. Elle n'avait pas grand chose à perdre, n'est-ce pas ?
Elle se redressa, toujours sur son séant, et se tourna carrément vers lui, les mains sur les hanches. Si Maya avait le don de se mettre à la place des autres, cela n'en était pas moins un trait de caractère naturel chez elle. Compatir était ce qu'il y avait de plus automatique dans son comportement, et prendre la pitié de quelqu'un ne lui ressemblait pas. Elle le savait fort, et elle en était sûre, mais jamais Ô grand jamais elle n'aurait pitié de lui. Elle se demandait juste comme il pouvait autant aimer rester seul, rien de plus.

MAYA ▬ J'ai pas pitié. La pitié, c'est pour les faibles qui savent pas agir.

Elle se pencha un peu plus vers lui, un index levé dans sa propre direction.

MAYA ▬ Bien sur que tu auras la recette. Est-ce que j'ai une tête à mentir ?

Elle soupira, et posa le coude sur son genoux, le menton enfoncé dans sa paume. Elle sortit une nouvelle fois le cellulaire de sa poche et vérifia ses horaires de cours, le yeux rivés sur l'écran lumineux. Après quelques secondes de silence, elle releva la tête vers lui, interrogatrice.

MAYA ▬  Les cours ne sont pas trop tardifs cette semaine. Si tu passes en milieu d'après-midi dans le dortoir A3, j'pense que tu pourras facilement me trouver. Si je ne suis pas là, il ya une gentille Mermaid et une autre Amazon que je ne connais pas trop encore qui saurait t'indiquer où je suis.

Elle clôt le téléphone d'une pression de bouton, et lui sourit, un éclair traversant ses yeux verts.