L’alcool est une belle traitrise. Il est facile de se laisser attendrir par son goût, aller à son plaisir et sombrer petit à petit, sans s’en rendre compte. Juichi était un homme. Un homme, ça boit, ça rit avec ces potes en faisant des concours de celui qui en boira le plus. C’était peut-être sa plus grande honte, mais il ne tenait pas spécialement bien la boisson. Déjà, il n’aimait pas particulièrement ça et en général, en soirée, ou en sortie dans les bars, il se forçait. Tout était une question d’image. Il fallait être viril. Viril pour avoir un certain statut. Viril pour être respecté par les siens. Pour être un homme, il fallait tenir l’alcool, sinon c’était ridicule. Sinon, c’était signe d’une femme.

Cependant, c’était une erreur de calcul plus que grossière. Plus que grossière parce qu’en buvant, il se contrôlait moins et il était plus vulnérable, comme une femme. En même temps, il n’en était pas une petite étudiante dont aller abuser à cause d’un verre de trop. Il était grand, fort, le torse tombé fièrement. Un mec n’allait certainement pas abuser pas abuser de lui. Il n’était pas le genre des autres dominants dans le milieu homosexuel, en étant lui aussi un. Quant aux femmes… Non, un homme ne se fait pas abusé par une femme. Ce serait un comble. Le ridicule absolu.

Pourtant, les femmes, surtout par ici, à Sei Gakuen, connaissent l’art de la séduction, et ont des dons pour les pires machinations. Juichi était certes gay, et si en temps normal, tous leurs appâts étaient sans le moindre succès sur lui, avec deux verres de trop dans le nez, qu’en était-il ? Les lendemains de cuites sont souvent chargés de mauvaises surprises en tout genre et il fallait bien un jour le vivre pour en tirer réellement leçon. Surtout lorsqu’on est un pique, un homme orgueilleux et têtu, qu’on se croit intouchable, et qu’on s’appelle Juichi Ideka. Cette leçon lui vaudra sans doute un fromage, ou plutôt, sa dignité. La grande leçon, c’était pour maintenant.

Les rayons de soleil qui filtraient par les rideaux avant atteints le visage empâté de Juichi. Un grognement caverneux avait franchi ses lèvres entrouvertes au goût et à l’haleine d’alcool. Son corps était lourd, enfoncé dans le matelas, alors qu’il sentait quelque chose cogner à répétition dans sa tête, comme s’il avait à la place de son cerveau, développé à son maximum, pour un pique, on avait placé un de ces petits singes mécanisés pour les enfants, qui portent des cymbales et les fait gaiement s’entrechoquer à répétition. Oh quelle joie extrême.

Ce lendemain de cuite lui avait épargné au moins la nausée. Du moins, c’est ce qu’il pensa avant de se forcer à ouvrir ses yeux dont les cils étaient encore collés et qu’il fut obligé de frotter d’ailleurs, avant de découvrir où il avait dormi, et surtout avec qui. Il se demandait un peu rêveusement quel beau jeune homme androgyne il avait ramené dans son lit. Oui, androgyne pour un garçon, c’était le moins que l’on puisse dire. Pourquoi ? Parce qu’il s’agit d’une femme. Un trèfle plus exactement. Quel était son prénom déjà ? Lilith. Lilith Natsume. Ah oui, et pour connaître le mieux dans tout ça, il s’agissait en réalité de la reine de trèfles.

Eh non, Juichi, ceci n’était pas un cauchemar. Néanmoins, son cerveau était encore trop brumeux pour qu’il réalise qu’ils étaient nus avec elle, dans son lit, dans la chambre de la reine de trèfles. Le jeune adulte eut tout d’abord un rire jaune. Oui, il devait sans doute rêver encore bien sûr. Bien entendu. Il était homosexuel. Les femmes le dégoûtaient, jamais de sa vie il ne pourrait en toucher une et encore moins celle-là. C’est à ce moment-là qu’il découvrir l’évidence même, leur dite nudité, mais il trouva encore le moyen de se rassurer en se disant qu’ils étaient peut-être ivres tous les deux, étaient rentrés ensemble et comme ils avaient très chauds, ils auraient potentiellement retiré leurs vêtements pour se coucher.

La théorie aurait pu marcher, enfin du moins, il aurait pu se consoler quelques temps, avant que la jeune fille se réveille de cette manière, complètement puérile. C’était sans compter sur le papier de préservatif qui trônait au bout du lit.

« -OH PUTAIN DE MERDE ! NON ! NON ! C’EST PAS VRAI ! C’est possible ! Rugit-il finalement en sautant avec empressement au bas du lit, tirant sur son passage le drap, qui dénuda le corps en tenue d’Eve de Lilith. »

Il déglutit longuement, tétanisé avant de s’emparer de son boxer qui était encore au sol et l’enfila à toute vitesse. Le mieux était la fuite, la fuite avant qu’elle ne se réveille. En même temps, vu la discussion dont il avait fait preuve, il ne faudrait pas trop compter là-dessus.