Tout était si calme. La nuit était déjà bien tombée, la lune avait pris sa place et reflétait de ses rayons sa peau diaphane. Dans cette semi-pénombre, elle observait les alentours de ses prunelles saphir. Elle était avec quelques filles de son groupe, les Amazons et discutait de leur prochaine mission dans des éclats de voix et de rires. La Queen était parfois crainte, parfois admirée par les jeunes recrues Amazons. Ces dernières l’entouraient et veillaient à son bien-être, car tout le monde connaissait ses antécédents et sa manière de réagir quand quelque chose allait de travers. Et elles ne voulaient absolument pas mettre Lith dans l’embarras, pas ce soir. Sauf que la jeune demoiselle n’aimait pas particulièrement être entourée de la sorte, préférant de loin vaquer à ses diverses occupations dans la solitude la plus totale. Elle bailla discrètement et une des filles lui demanda doucement si tout allait bien. Bien entendu que tout allait bien, elle voulait juste être seule ce soir. Pour réfléchir, sombrer dans l’oubli et la décadence de la jeunesse. Sans répondre, elle se contenta de s’éclipser au détour d’un chemin et accéléra le pas rapidement. De loin elle pouvait clairement entendre ses jeunes recrues l’appeler, puis paniquer de ne pas retrouver leur chère Queen.
Souriante, Lith replaça une mèche de cheveux roses bonbon et continua sa route, sans demander son reste. Elle n’aurait pas pu se douter qu’un geste violent lui ferait percuter le mur. Tout ce qu’elle put sentir, c’est son visage heurter de plein fouet le mur se dressant à côté d’elle, et un mélange de sang et de salive engloutir son palais, la faisant cracher lentement. Elle détestait les coups par derrière et venait de se faire la promesse de découper celui ou celle qui l’avait projeté de la sorte. On lui maintenait fermement les cheveux, elle ne pouvait pas bouger. A en juger par la force, c’était un homme. Ne restait plus qu’à savoir de qui il s’agissait. Peut-être un inconnu comme tant d’autres, ou alors quelqu’un à qui elle avait fait un mauvais coup. La voix s’éleva dans la pénombre et elle crut reconnaitre cette dernière. Mais rien n’était sûr. Et chose étrange, pourquoi dire bonsoir à quelqu’un à qui on souhaite la mort ? Se retournant avec difficulté, elle cracha au sol le mélange de sang et de salive qui lui était resté dans la bouche. Elle essuya d’un revers de manche ses lèvres et observa son interlocuteur. Un éclat de rire. Suivi d’une parole tranchante. Et d’un long silence.
« Putain mais t’es qui ? Tu te prends pour un justicier avec ton costume à la con ? »
Lilith n’en croyait pas ses yeux. Un type habillé comme un personnage de Kick Ass se tenait devant elle, le visage bien dissimulé derrière un masque. C’en était risible. Elle se releva, se tenant sur ses deux jambes et épousseta ses vêtements poussiéreux. Peu importe ce qu’il voulait, elle ne comptait pas se soumettre à ce gars masqué.
M'observant Me désirant Je sens que tu me détruis Te craignant T'aimant Je ne te laisserai pas me détruire.
Tout commença par cette joue meurtrie et rougeoyante sur son faciès diaphane. Ses yeux vermillon brillaient mais les larmes restaient inexorablement enfermées aux tréfonds de ses prunelles. Lilith s’était pris une claque. Une vraie, une qui fait mal, qui nous donne envie de pleurer et de se tenir la joue endolorie. Une qui a résonnée à travers le silence, qui lui fait froncer les sourcils de colère, qui lui donne cet air de chien méchant. Jamais personne n’a osé la gifler. Ni Reira, ni son père, ni Akira. Il est le premier à oser porter la main sur elle. Comme elle projette de le vider de son sang, il sera probablement aussi le dernier. Elle serra les dents, fixa l’interlocuteur d’un œil mauvais et le maudissait lui & ses descendants. Ses paroles déchirèrent le silence oppressant et la jeune fille recula à mesure qu’il avançait. Qu’il reste loin d’elle, loin de sa folie, loin de sa colère s’il tenait à la vie. Mais il continuait d’avancer, de la dévisager, de parler, de lui poser des tas de questions inutiles. Piégée contre le mur, Lith n’avait d’autre choix que d’affronter son agresseur, si je puis dire. Elle savait pertinemment qu’il ne comptait pas prendre la fuite & n’attendait que le moment opportun pour lui faire du mal.
« Qui a parlé de se battre ? Je ne me bats pour aucune cause, je suis libre de mes actes & si du jour au lendemain l’envie de passer à autre chose me prends, alors je passerais à autre chose. »
Maintenant il savait la vérité. De toute façon ce n’est pas comme si elle se cachait. Bien sûr, être la Queen des Amazons était une lourde charge, mais qui a dit qu’elle devait faire ça toute sa vie ? Qui a prétendu que Lith se battait pour remporter la guerre qui oppose filles & garçons ? Ses informations ne valaient pas un clou, il était stupide & naïf de croire qu’elle se battait pour une quelconque cause. Elle se fichait éperdument de cette guerre, la seule chose qui comptait aux yeux de la jeune fille était de se divertir un maximum avant de mourir. Parce qu’à la mort, il n’y a plus rien. Alors elle profitait de sa vie insouciante, torturait les autres pour l’amusement, dirigeait un groupe pour laisser une trace de son passage sur terre. Il était insignifiant, pire qu’un protozoaire défaillant. Comme tous les hommes, il était chiant.
« Maintenant que tu as ta réponse, que veux-tu négocier ? »
Elle releva la tête brusquement, dévisageant à son tour son imbécile d’agresseur. Que faire ? Sa paire de ciseaux traînait dans sa poche mais il avait sûrement bien pire dans les siennes. Elle continua de parler, sans pouvoir se stopper, comme si le fait d’être harcelée de questions idiotes lui déliait la langue.
« Essaye juste de me toucher et je te jure que ce que tu as entre les jambes ne servira plus jamais à rien, asshole. »
Son sang anglais prenait parfois le dessus quand elle était en colère. Elle était parfaitement bilingue mais préférait s’en cacher car les gens ici méprisaient parfois les étrangers. Le regard brillant, on pouvait distinguer cette petite flamme de rage qui dansait dans ses yeux à la couleur pourpre. Elle allait le tuer, pour sûr.
Parce qu'apparemment ce Mal Apprécie vraiment sa compagnie.
Ses mains graciles vinrent entourer son cou qui était à portée de main. Ses doigts longilignes se refermèrent brusquement sur la nuque fragile qui s’offrait à elle et elle resserra l’étreinte tant qu’elle le pouvait encore. Ses paroles résonnaient dans sa tête comme une mélodie de fausses notes et ses mots se voulait aussi empoisonnés que du venin mortel. Alors elle serra, encore et toujours, ses yeux perçants dévisageant son interlocuteur au discours tranchant. Car s’il y avait bien une chose qui rendait Lith folle de rage, à tel point que tuer une personne n’était plus qu’un acte anodin, c’était qu’on parle de sa famille aussi librement. Elle n’avait jamais voulu attirer l’attention, puisqu’elle ne voulait pas de parents. La prise se voulait plus ferme alors elle resserra encore un peu, jusqu’à ce que ses articulations deviennent opalescentes. Le corps inerte tomba lourdement au sol, les yeux encore grands ouverts, les marques de strangulation visibles sur une partie du cou.
Bien entendu ceci n’était que l’illusion qui germait dans son esprit. Parce qu’il tenait ses poignets de manière qu’elle ne puisse pas esquisser le moindre pas. Mais ses yeux reflétaient parfaitement son envie de tuer, sa soif de sang & sa colère. Il était trop proche, trop insistant & trop impertinent. L’écoutant à moitié, son sourire se fit tout à coup plus grand et elle ne put s’empêcher de rire allégrement. Elle en avait mal au ventre et était secouée de soubresauts incontrôlables. Cette pitoyable mise en scène pour la faire craquer était si pathétique qu’elle ne pouvait pas s’empêcher de rire. Pour qui se prenait-il, avec ses grands airs et ses discours à la noix ? Jamais personne n’avait réussi à la faire craquer depuis ce jour et ce n’est pas aujourd’hui, ni demain que quelqu’un y arrivera. Se calmant un peu pour pouvoir lui répondre, elle s’approcha tout d’abord de son oreille pour lui chuchoter comme il l’avait fait quelques minutes auparavant.
« Tu ne pourras jamais me détruire mentalement, car quelqu’un l’a déjà fait bien avant toi, mon cher. »
Ironique et joueuse, Lith se contenta de reculer sa tête et de garder les yeux sur lui. Elle parla encore une fois, mais pas en chuchotant. Au contraire son intonation se voulait imposante et dominante. Comme si les rôles s’inversaient à mesure que la nuit poursuivait son cours.
« Tu dis que le monde ne me veux pas ? Tant mieux ! Parce que moi je ne veux pas de lui. Je n’ai confiance en personne et je déteste tous ceux qui essaient de me comprendre. Les rares personnes qui ont obtenu ma confiance et m’ont un tant soit peu comprise sont passées de l’autre côté. Maintenant… »
L’impact fut bref mais douloureux. Son front vint heurter celui du jeune homme et elle en profita pour se dégager furtivement de l’étreinte malsaine entre eux. Elle l’avait peut-être frappé un peu trop fort car sa tête bourdonnait bizarrement.
« Ne me touche pas, espèce de porc. Qu’est-ce que tu attends ? Que j’abandonne mon statut de Queen des Amazons ? Je n’ai pas à t’obéir et encore moins à te parler de moi, abruti. Soit tu me laisses tranquillement repartir à mes occupations, soit tu me frappes pour satisfaire ton égo. Mais je doute que je me laisse faire sagement. Visiblement tu sembles me connaître, alors tu t’en doutes sûrement… »
Tout était clair désormais. Les deux restaient sur leur position, l’un avec l’envie de la briser psychologiquement, l’autre avec l’envie de le torturer physiquement. Entre l’intellect et la force brute, lequel allait l’emporter ? Moi je miserais sur un ex-aequo, mais je ne suis que le narrateur invisible de cette rencontre délicieuse…
Elle ne peux pas arrêter le début de ce sentiment C'est affreux, mais elle commencé à aimer ça. .
Encore et toujours ce goût de sang entre les lèvres. Cette saveur particulière de rouille qui sillonnait allégrement son œsophage, la faisant froncer les sourcils de dégoût. Elle détestait ça. Elle détestait perdre ainsi le contrôle et céder aux coups des autres. Elle détestait se plier sous la contrainte & la douleur. Elle détestait être prise au dépourvu, sans avoir le temps de réagir pour anticiper ou esquiver. Sincèrement, elle détestait ce moment précis. Ou l’impact des poings étaient cent fois plus douloureux que celui des mots. Autant les mots pouvaient être des poignards, mais il ne vous laissait pas de traces physiques. Les coups, eux, si. Sa lèvre inférieure se mit à saigner abondamment, fendue. La douleur était si forte qu’elle commencait à voir trouble, les yeux brillants légèrement. Mais les larmes ne couleraient pas. Plus maintenant. L’effort pour rester debout était immense, mais elle y parvenait, malgré les tremblements dans ses genoux qui ne cessaient pas. Le dernier coup lui fit cracher de la bile mélangé au sang et l’envie de vomir la gagnait peu à peu. Ça faisait mal, elle avait mal, son épaule était douloureuse, sa lèvre brûlait et le sang coagulait sur son visage cireux. La souffrance était terrible, mais malgré cela elle réussit à prononcer quelques mots, dans un souffle long et avec une voix chevrotante.
« Œil pour Œil, Dent pour Dent… »
L’hésitation. La réflexion. Un geste brusque, inattendu, néanmoins rapide. Timing parfait pour la jeune fille puisqu’il avait inconsciemment baissé sa garde. Les bras graciles de Lilith entourèrent son interlocuteur, ses lèvres vermillon se rapprochant dangereusement des siennes. Si proche qu’on croirait qu’elle l’embrassait. Dans un murmure quasiment inaudible, elle poursuivit, perdue entre excitation et torture. Doux mélange.
« Mal pour Mal. »
Le mouvement fut fluide, précis, sans bavure. Les ciseaux déchirèrent le tissu léger, atteignant la peau. L’instrument de torture préféré de Lith s’enfonça joyeusement dans la chair souple et le sang afflua brutalement, se déversant sur le sol en un fin filet pourpre. Elle relâcha prise, trop fatiguée et énervée pour aller plus loin. Ankylosée partout, elle tituba en arrière et respirait avec difficulté. Si la Mort allait la prendre, elle ne partirait pas seule. Non, elle l’emmènerait. Mais elle se doutait bien qu’il n’allait pas mourir pour si peu et elle non plus. C’était juste un retour à l’envoyeur. « Ce que tu lui fais subir, elle te le rends en cent fois pire. ». C’était ce que ses anciens camarades disaient de la jeune demoiselle. Un divin sourire aux lippes, qui semblait étrangement sincère, elle parla une dernière fois avant de tomber lourdement sur le sol, paupières closes.
« T’as pas intérêt à crever, raclure de mes deux. »
Oui, parce que malgré tout, elle l’aimait bien, le salaud.